Librairie. Depuis longtemps la librairie méconnaît les plus nobles conditions de son existence. Intermédiaire entre ceux qui écrivent et ceux qui lisent, mais avant tout marchande comme son époque, elle ne tient compte que de ses profits à faire et elle ne se préoccupe plus du côté élevé de sa fonction, et de l’influence très légitime qu’elle pourrait exercer sur l’esprit de son temps et sur son expression, la littérature. Écouler des livres mauvais parce que le goût dépravé du public les demande, travailler par là, en sous-œuvre, à la corruption de la pensée, sans autre souci que de tirer la monnaie de son commerce, voilà tout pour ces marchands d’opium en ballots, qui ont — à peu d’exceptions près — remplacé les grands libraires d’autrefois… … Mais pour ne pas parler de ces hommes trop rares dont nous avons le souvenir et dont nous n’avons plus la race, les Estienne, les Alde Manuce, les Elzévir, etc., il y en eut, en dessous de ceux-là, beaucoup d’autres qui avaient au moins l’art de leur industrie, et pour qui l’unique et suprême question n’était pas de vendre et de gagner, n’importe à quel prix ! … Franklin (qui, par parenthèse, était un libraire) disait souvent que « si les fripons savaient le profit qu’il y a à être honnête homme, ils seraient tous honnêtes gens par friponnerie. » Ne peut-on pas modifier le mot de Franklin, et dire aussi qu’en matière de librairie, si on savait ce que doivent rapporter les sens et la préoccupation littéraires, chaque libraire s’efforcerait d’être littéraire, par intérêt bien entendu de commerçant ? Jules Barbey d’Aurevilly in : Romanciers d’hier et d’avant-hier (1904) Cité dans : L’Esprit de J. Barbey d’Aurevilly (1908) |
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5 commentaires:
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J'aime Jules.
RépondreSupprimerBéatrice
Belle réflexion sur ce métier : il est vrai que l'auteur ne nous a jamais barbés.
RépondreSupprimerOn n'aurait pu mieux dire.
RépondreSupprimerMais voir que la réflexion était déjà valable il y a plus d'un siècle n'est guère rassurant...
Otto Naumme
Merci, Tenancier.
RépondreSupprimerEt je partage le sentiment d'Otto : désespérant de constater que les écueils bien identifiés par nos prédéceseurs et sur lesquels ils se sont malgré tout cassé le nez, sont toujours en travers de notre route. Comme si la pensée n'avait aucune prise, sinon sporadique, sur le rouleau compresseur.
Faudrait en parler à Nuplie.pet, qui monte en Amazone...
Pour prolonger un peu l'esprit de ce billet, j'incite à aller lire ce bref entretien avec Jacques Noël, qui tient la plus belle librairie que je connaisse et reste l'un des derniers à concevoir son métier comme celui d'un passeur.
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