C’est curieux : hier j’étais en train de m’ennuyer copieusement dans la salle d’attente d’un hôpital, ayant par malheur emporté un livre d’informatique sans me rendre compte que nombre d’informations le rendaient obsolète. C’est que, comme ça, en passant, j’aime bien soulever le capot et bricoler un peu… Bref, donc je m’ennuyais un peu à lire les notices placardées sur les murs pour tromper l’ennui, toutes ces sortes de choses qui d’ordinaire ne parviendrait jamais à notre esprit, si vous ne vous étiez égaré dans ces endroits garnis de néon et de murs : hôpitaux, commissariats, écoles, si vous voyez ce que je veux dire. Mais faute d’avoir un livre lisible, il faut bien compenser. Et puis – épargnons-vous les circonstances – un polar m’est parvenu sous les yeux. Je ne l’avais qu’en garde et ne songeais point trop à entamer la lecture… enfin si : j’ai lu les deux premiers chapitres, comme ça, mais par distraction, en somme. Je me suis arrêté bien vite pour éviter la frustration, d’autant que la facture en est fort honnête. Un bouquin de Mankell, pour ceux qui connaissent. J’ai laissé courir les pages distraitement pour arriver au catalogue
in fine. On n’est pas libraire si l’on n’aime pas les catalogues et on ne fait pas la joie des psychanalystes de comptoir si l’on n’aime pas les listes. Comme je n’aime pas déplaire, j’ai parcouru soigneusement celle-ci. Mais le jeu était pipé. Bien qu’amateur du genre de temps à autre, je n’en n’ai point une connaissance extensive qui me permettrait
d’en relever les flagrances ou bien les béances. Je me suis donc contenté de voir quel livre de Lawrence Block je n’avais pas encore lu, par exemple. Et puis, le jeu s’épuisant, je suis passé au catalogue dit de « Littérature générale » qui y faisait suite, enfin surtout un liste qui concernait – comme la précédente – les dernières parutions.
La liste s’arrête en mars 2003, époque où j’avais déjà arrêté de travailler en librairie de neuf.
Peu de noms, peu de titres m’ont donné envie et je n’ai jamais entendu parler d'un quart des auteurs présents dans cette liste, depuis 2003.
J’ai réalisé brutalement que je n’y étais plus. C’est le sentiment, sans doute, dont nous fait part Michel Leiris :
Aussi curieux qu’on soit de tout ce qui fait ou s’écrit ou se dit, il vient toujours un moment – si l’on vit assez – où l’on sent qu’on ne colle plus à son époque. Naguère, vous étiez dans le coup ou du moins vous en aviez l’illusion. Maintenant, vous constatez que, dans le domaine qui pourtant peut être tenu pour le vôtre, bien des choses probablement dignes d’attention se produisent sans vous, et parfois même sans que vous y compreniez goutte. Conclusion devant laquelle vous ne laissez pas de renâcler mais qu’à votre corps défendant il vous faudra, un beau jour, en tirer : vous avez perdu les pédales […] |
Michel Leiris : Modernité, merdonité – in : La Nouvelle Revue Française n°345 – oct. 1981 / in : Le Ruban au cou d’Olympia – Gallimard – Coll. Blanche - 1981
Certes, Leiris va plus loin que ce constat et en disserte mieux que votre serviteur, qui vous en recommande néanmoins la lecture, n’étant pas rancunier. Pour autant, le même serviteur qui vous parle, ni déprimé, ni atteint, vous déclare tout bonnement qu’
il s’en fout.
Comprenez : je suis un libraire désengagé de toute forme de modernité – ou de merdonité – je me suis procuré une sorte de transat existentiel qui me permet de n’être effleuré du flot des nouveautés qu’au moment ou la vague mourante vous lèche le bout des arpions. Et encore, pas toujours. De l’avantage de ne s’occuper que de vieilles choses…
En définitive, votre ci-devant Tenancier est un plagiste.
S'occuper de vieilles choses permet au Tenancier de rester toujours jeune, c'est là bonne chose !
RépondreSupprimerOtto Naumme
Rien de problématique à se découvrir plagiste, comme vous dites. Le sort des "accros au dernier truc" semble en revanche fort peu enviable.
RépondreSupprimerLe "transat existentiel" aurait plu à Simone de Beauvoir !
RépondreSupprimerCher Tenancier, à bien y réfléchir, c'est être en avance sur son temps que, finalement, se défaire de la sale manie de vouloir à tout prix tout savoir, tout "renifler" de l'air d'un temps.
RépondreSupprimerLe seul ennui tient au fait que la merdonité (joli mot !) gagne en importance jour après jour, dans la grande vogue de "l'infobésité". Et que le phyltre du temps finira bien un jour par s'y encrasser, à cette merditude...
M'enfin, tant qu'on réchappe du coup de soleil existentiel...
Otto Naumme