A pied, à cheval et en voiture…

L'intervention de SPiRitus sur le sujet du « livre » numérique a provoqué quelques commentaires. Curieusement, aucun n'a été dans le sens de la contestation, sans doute parce que la plupart des adeptes de ce support ne fréquente pas nos parages. En tout cas, le sujet demandait une suite. En voici déjà une par Bertrand Redonnet, du fin fond de la Pologne. Pour en savoir plus sur l'écrivain et l'homme de caractère, on vous incite à visiter son blog.
Naturellement, on peut s'autoriser d'autres développements encore, le sujet est vaste...



SpiRitus a mis le doigt sur quelque chose d’essentiel en contestant au support numérique de la lecture, son statut de livre. Lui ôtant ce statut, on cesse du même coup, à moins d’être animé d’intentions purement commerciales, de s’égarer dans des considérations de concurrence et des angoisses de mise à mort à plus ou moins long terme du livre et des métiers du livre.
Reste quand même que voilà deux objets autonomes - n’est-ce pas Otto ? - qui se proposent la même mission sociale : la lecture, et qui devrons, apparemment, cohabiter sur un même champ d’intervention. Mais si j’en crois ce qui s’est dit dans les commentaires du texte précédent, il s’agira d’une lecture différente, lecture linéaire, descriptive - au sens large - muette, d’une part, et lecture animée, multidirectionnelle et mise en relief du texte par l’apport de sources externes, d’autre part.
Moi, je veux bien. Après tout, si ces tablettes numériques entrent dans cette perspective-là, les lecteurs de littérature accomplie, celle qui a fait ses preuves en se frottant au goût du public et à l’usure du temps, je veux dire, ont encore de beaux jours sur leur table de chevet.
Car je ne vois pas trop ce qu’irait chercher un lecteur de Darien, par exemple, ou de Zo D’Axa (au hasard, hein ?) sur une tablette numérique. Je ne vois pas trop, à moins de triturer le texte et d’y joindre des notes, des éléments biographiques, d’autres textes sur l’anarchie en général à la fin du XIXe (toujours au hasard, je dis n’importe quoi), quel apport, autre que celui qu’une collection telle que La Pléiade met déjà à disposition, la tablette numérique fournirait aux textes et à l’esprit des gens. A leur intelligence, tranchons le mot.
Certains numérisateurs dits éditeurs mettent cependant en ligne Maupassant, Rabelais et autres grands classiques. Si vous apercevez là-dedans autre chose que du commerce en direction de préoccupations purement pragmatiques de stockage vous permettant de faire Paris-Bordeaux en TGV avec soixante livres dans votre valise - ce qui participe d’un comportement aliéné (inutile) au même titre que celui qui fait qu’on ne vas pas aux chiottes sans son téléphone portable - , ou d’installer chez vous un poêle à mazout à la place de la bibliothèque ou d’agrandir simplement votre espace vital, vous seriez vraiment gentils de m’éclairer. Je ne demande que ça.
La tablette numérique, dans ce que nous en concevons, est donc destinée à une autre lecture et n’implique donc pas, selon moi, une redéfinition du lectorat en général, comme le dit SpiRitus, mais une définition de son lectorat propre. Une cible. Ce qui ne fut pas le cas pour l’imprimerie qui, effectivement, a élargi le cercle des lecteurs, mais dans une même activité cérébrale.
Enfin, il est pour mézigue absolument inconcevable que des illustrations, des renvois à des photos, des vidéos ou des dessins puissent remplacer et éviter des descriptions de type littéraire. La description est un genre littéraire, une pierre de l’édifice, l’illustration est un autre art, qui ne fait pas appel aux mêmes plaisirs intellectuels ni aux mêmes stimuli de l’imaginaire.
De même, donc, pour l’écriture. Si je veux décrire des paysages de la campagne polonaise ensevelie par l’hiver, je les décrirai dans un livre. Si je veux les montrer autrement qu’avec des mots, je dirai alors des impressions, des émotions, des sentiments, sur une tablette numérique et je planterai en même temps le décor de tout ça avec mes photos ou autres. Ce n’est là ni le même travail, ni le même plaisir à faire et à offrir.
Ne mélangeons donc pas tablettes numériques et livres, certes, mais surtout et d’abord, n’en mélangeons pas les qualités.
Le train et l’avion ont la même fonction : le déplacement. La marche à pied aussi sert à se déplacer, mais elle ne sert pas qu’à ça. Idem pour le vélo : je viens de rencontrer un jeune gars qui vit en Ukraine et qui a fait le voyage, je crois, jusqu’à Toulouse sur sa bicyclette. S’il n’avait voulu que se déplacer, il aurait pris un billet d’avion comme tout le monde. Et derrière cette analogie hasardeuse, je vois bien le livre et ses descriptions et la tablette numérique avec sa multitude d’infos et de dessins, clichés ou autres, se profiler.
Ceci dit (Brahim), j’ai moi-même publié des textes en numérique chez qui vous savez et une espèce de polar, en ce moment, ici. Mais c’était et c’est une erreur de dire qu’il s’agissait de livres. Il s’agit d’une mise en vitrine, comme une sorte de tremplin putatif vers le papier. Car ces textes ne gagnent rien à endosser l’habit numérique, sinon signaler leur existence en devenir.
Bref, ils ne participent pas d’une littérature numérique, qui reste totalement à inventer.
Bien à vous tous, sympathiques lecteurs de Feuilles d’automne, et à vous, aimable Tenancier, maître de céans.

Bertrand Redonnet

4 commentaires:

  1. http://manuals.info.apple.com/fr_FR/ipad2_guide_de_lutilisateur.pdf

    Vouaaalà.

    Bnàvs, ;)

    Jaime de Trouille

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  2. Merci pour ce guide de l'utilisateur des narcodépendants à I-Thunes.

    Pour revenir au sujet, Marshal McLuhan, rappelle de façon presque tautologique que l'invention de nouveaux outils a généré des évolutions à l'intérieur des société humaines. Avant Florence Dupont - j'en avais parlé dernièrement dans un billet, vous n'avez qu'à chercher - il avait souligné la différence des univers mentaux entre les traditions orales et écrites. Sans nul doute que la génération d'un nouveau support provoquera également une sorte de révolution cognitive.
    Ou pas.
    Ce que disait le sieur McLuhan était lié à l'existence de supports médiatiques tels que la télévision et nous étions assez loin des développements que nous connaissons actuellement dans les supports électroniques. Même au prix de quelques efforts, tout ne peut s'adapter d'un discours élaboré dans les années 70 pour une société contemporaine. Ses prédictions ne se sont pas tant que cela avérées si l'on considère que ces médias sont devenus des machines à décervelage. C'est ainsi que pour le "livre" électronique nous pouvons également nous interroger sur la pérennité culturelle d'une machine qui ne permet aucun recul dans l'élaboration et la diffusion d'une œuvre.
    Enfin, je m'interroge : autant la télévision a précipité la déréliction d'une certaine littérature populaire, autant le "livre" électronique ne serait-il pas la valeur refuge d'une certaine littérature jetable, endroit, où, cher Bertrand, vous vous êtes fourvoyé par l'entremise d'un entrepreneur de la Société du Spectacle (voir à ce titre le dernier billet du blog de nos amis de Cynthia 3000) ?

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  3. BoNjOuR.

    je ne retrouve pas l’article originel de ce sulfureux sujet.

    Ce que je redoutais le plus, avant même les problèmes techniques et de lisibilité (ces derniers étant pourtant ma préoccupation première et à l’occas. professionnelle ;-) c’est la stratégie « tous les bipèdes marchés captifs à pattes ». Ayant vu, par exemple l’ignoble « évolution » d’Apple... Eh ben voilà :

    http://www.actualitte.com/actualite/lecture-numerique/legislation/ebooks-nouvelles-preuves-d-accords-illegaux-entre-editeurs-et-apple-31395.htm

    Karl-Groucho D.

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    1. Cher Karl-Groucho (félicitation pour ce prénom composé), merci de l'info.

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