Contrefaçons

A propos de l'article de Boutmy dont le titre est Manuscrit belge, on fait allusion à la contrefaçon qui régnait encore récemment à l'époque ou fut rédigé le Dictionnaire d'argot des typographes. On a déjà mentionné ici cette pratique courante à la période Romantique et dans laquelle on peut dire que les libraires belges s'étaient pratiquement spécialisés. Pour nous en convaincre, invoquons un témoin de poids qui, en l’occurrence, fit preuve d'un assez bel humour lors de son passage à Bruxelles. Accessoirement, cela vient au secours de la deuxième hypothèse de Boutmy dans son article...

Notre tour fait dans le parc, nous allâmes chez les éditeurs de contrefaçon ; j'achetai les poésies complètes d'Alfred de Musset, en un volume, et Madame de Sommerville, de Jules Sandeau ; je voulus aussi acheter Mademoiselle de Maupin, roman de votre serviteur; mais j'avoue que cela me fut impossible, par la raison que je ne le trouvai nulle part. Ceci me mortifia d'autant plus que le Bibliophile, l'Alphonse Brot, l'Hippolyte Lucas, et autres gens illustres de ma connaissance, étaient mirifiquement contrefaits, et que je confesse, avec toute l'humilité qui me caractérise , que jusqu'ici je m'étais cru l'égal de ces messieurs. Mon voyage m'a détrompé et fait revenir d'une si folle présomption. Le Bibliophile surtout jouit d'une si grande réputation dans ce pays-là, que les Mauvais Garçons d'Alphonse Royer et de Barbier, la Notre-Dame de Victor Hugo, les deux meilleurs romans que le moyen âge ait inspirés, sont imprimés sous son nom.
Les volumes de prose du Spectacle dans un Fauteuil, d'Alfred de Musset, ne sont pas connus en Belgique, et le contrefacteur à qui je les demandais parut tout surpris, et écrivit sur-le-champ à son correspondant de les lui envoyer. Cela ne fait pas grand honneur à la publicité de la Revue des Deux Mondes et aux goûts littéraires des libraires belges.
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L'auteur écrivait cela il y a quelques années : aujourd'hui toutes ses œuvres ont subi les honneurs de la contrefaçon. [Note de l'éditeur.]

Théophile Gautier : Caprices et Zigzags : Un Tour en Belgique et en Hollande - (page 67) - 1856

(Le Bibliophile dont il est question dans le texte est très vraisemblablement le Bibliophile Jacob, ce voyage fut effectué en compagnie de Gérard de Nerval, ce qui explique le « nous » dans ce passage)

1 commentaire:

  1. Comme quoi ces histoires de "piratage" dont on nous rebat les oreilles aujourd'hui ne datent finalement pas d'hier. Et il semble que cela n'avait pas trop l'air de perturber ce bon Théophile...
    Il est vrai que ce sont surtout les éditeurs qui foncent en freinant des quatre fers dans "l'aventure" de l'édition numérique... Mais combien aujourd'hui savent ce qu'est un "manuscrit belge" ?

    Otto Naumme

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