Les "offices"
(7e round)


En décrivant le système des offices en librairie, je n’avais pas du tout en tête l'idée d’en faire le procès. Il est du ressort des professionnels de l’instruire s’ils le désirent. Au risque de se trouver confronté à ses propres errements. Au fond, je voulais expliquer un peu quelques aspects du fonctionnement de ce métier et des quelques séquelles plus ou moins graves qui en découlaient. C’était aussi une manière de marquer ma distance vis-à-vis de la béatitude de circonstance qui atteint curieusement nombre de libraires de neuf dès lors que l’on touche au cœur de ce métier ou que l’on feint un tant soi peu de s’en défier. En définitive, à les entendre, on continuerait ainsi à exercer un métier détaché des vicissitudes pour les plus mystificateurs – ou les plus naïfs – ou alors on s’emploierait uniquement à parer les méchancetés inouïes dont les éditeurs les abreuve pour les autres. On l’a bien remarqué à l’époque dans les commentaires qui suivirent ma déclaration sur mon intention de ne plus jamais revenir dans ce secteur là. Démonter ici le système des offices était une manière de prolonger mes affirmations qui paraissaient à d’aucuns plutôt péremptoire à l’époque. Il n’en n’était rien. Si l’on reprend la suite de ces billets et qu’on les inscrive dans la perspective de l’exercice quotidien d’un tel métier, cela devient beaucoup plus éclairant – du moins je l’estime comme tel. Ainsi, le fait de travailler sur une matière qui s’avilissait n’est pas que due à la conjoncture mais bel et bien à l’abdication d’une grande frange du métier face à des impératifs économiques étouffants. J’en ai payé le prix fort dans certains postes que j’ai occupé depuis mes débuts en 1979. C’est devenu une sorte d’écœurement. Par ailleurs, j’ai travaillé longuement dans une librairie qui a refusé ce fonctionnement pervers et qui a proposé une sorte de compromis avec la plupart des distributeurs du livre. Je ne déshonorerai pas son nom en le citant. Elle n’existe d’ailleurs plus du fait d’un départ en retraite. C’était la librairie Delatte – endroit où je considère avoir effectué un deuxième apprentissage et ce pour toutes les dimensions du livre : le neuf, l’occasion, la bibliophilie, etc. Curieusement, le seul qui n’a pu s’accorder de ce compromis était le groupe Hachette. Ce compromis, donc, était simple et diablement contraignant pour les diffuseurs : c’était accepter d’envoyer un représentant systématiquement pour toutes les nouveautés et n’accepter que des commandes insignifiantes la plupart du temps, avec une remise correcte et une faculté de retour des ouvrages. Ainsi donc, cela était fort possible. On ne recevait que ce que l’on demandait, rien de plus, rien de moins et l’on pouvait se permettre quelques erreurs. Les taux de retour demeuraient très corrects, voire en dessous de la norme des offices « normaux ». Signalons tout de même que cette vente était marginale. Cette librairie travaillait également avec un fonds en compte ferme, aussi bien neuf que d’occasion et tirait sa notoriété de l’exigence de la composition de ses rayons.
Une librairie peut tout à fait exister en travaillant en compte ferme. On ne va pas affirmer que c’est facile, on ne va pas affirmer que c’est la panacée. On veut dire simplement que c’est une chose saine. Il est certain que ce retour à cette sorte d’intégrisme est souvent le fait de librairies spécialisées, possédant une clientèle captive, capable de gérer un fonds de livres qui sont souvent à tirage restreint. On travaille ici sur le rare et le pointu. Mais c’est logique. A un stade où le livre commence à opérer une nouvelle mutation vers, disons, son ère postindustrielle, le livre revenu à un contenu culturel exigeant – veuillez lire : sans les merdes hâtives qui vont de l’essai politique au roman adultérin, par exemple – ne persistera que par sa capacité à durer bien plus longtemps qu’un brouillard électronique. On y croit. On y croit d’autant que nombre de ces librairies ont par ailleurs une autre politique vis-à-vis du livre et de son lectorat : entretien d’un fonds, vendeurs qualifiés et concernés qui, restant dans ce secteur-là, pourront espérer arriver à l’âge de la retraite dans la maturité de leur métier et non au chômage sous prétexte d’un salaire trop élevé à débourser pour l’employeur. C’est sans doute de ce côté-là, qu’il faut voir. Commencez à chercher une librairie où les vendeurs ont plus de trente-cinq ans. M’est avis que vous continuerez de les fréquenter après. Bref, une libraire qui perdure est une libraire qui investit et qui a banni la courte vue de son compte d’exploitation.
Pour le plaisir de ses lecteurs et sans doute pour l’honneur de la profession.
Allez, j’ai pas empoché le titre, mais je repars avec Belinda. Et, croyez-moi, ça c’est de la consolation !

26 commentaires:

  1. Voilà, ce sont des libraires comme cela qu'il faut fréquenter, avec des livres en rayons qu'il a commandés lui-même et qui restent là un certain temps. Il faut aller voir les rayons "Antiquité" et "Poésie". S'ils sont fournis, c'est très bon signe.

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  2. S'il existe un rayon dévolu aux textes antiques et un autre à la poésie, c'est déjà pas mal…

    Ne fréquentant pour ma part quasiment plus les librairies de neuf, sauf deux-trois qui précisément travaillent essentiellement en compte ferme, je n'ai pas grand-chose à dire, sinon que le système "mixte" que pratiquait Delatte me paraît le meilleur. C'est me semble-t-il celui que pratique aussi, à Paris, la librairie Compagnie, en face de la Sorbonne.
    Mais c'est du boulot…

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  3. En plus de Belinda, pour vous remercier, Tenancier, voici qui confortera votre point de vue critique sur un certain éditeur dont on ignore de quoi il se rend capable : sa stratégie, ici.
    Bon, faudrait pas que ça ressemble au Carlton, tout ça !
    _
    ArD

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  4. En tout cas, certains ont de bonnes lectures :
    http://lafeuille.blog.lemonde.fr/2011/10/28/la-fin-de-la-librairie-1ere-partie-ce-nest-pas-linternet-qui-a-tue-la-librairie/
    C'est curieux...

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  5. Bah, c'est que le sujet est d'actualité. Et le Tenancier lu...
    Ce qui n'est que normal !

    Otto Naumme

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  6. Mon cher Otto, c'est d'actualité depuis 50 ans. Je m'interroge sur le pourquoi de la survenue de ce billet. Je ne m'offusque pas. Je me dis que la coïncidence est curieuse et que si ce n'en n'était point une cela témoignerait d'une certaine indigence dans la façon de se renouveler ou de chercher ses sujets. Mais, naturellement, ce ne peut être qu'une coïncidence. J'en suis persuadé vu que les auteurs de blogs dans Le Monde sont ir-ré-pro-cha-bles ! Et pour avoir fréquenter le blog d'Assouline dans le passé, je sais de quoi je parle. Je ne me pousse pas du col, entendons-nous bien. Je trouve seulement que le type ne s'est pas foulé.

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  7. Permettez-moi de n'être point d'accord avec vous, cher Tenancier. Peut-être l'auteur de ce blog a-t-il cherché sur d'autres blogs - le vôtre peut-être - le sujet de son article. Dans ce métier, nous sommes tous à la recherche de sources d'inspiration, nous n'avons pas en permanence des idées originales.
    Mais on ne peut l'accuser de ne pas s'être foulé, il a fait un bon travail journalistique à aller chercher des informations, des statistiques, toutes sortes de données qui ne tombent pas toutes seules du ciel. Et en a fait un article qui peut plaire ou non, mais qui, lui, a le mérite de l'originalité : ce n'est pas une médiocre réécriture d'un autre contenu qu'il aurait trouvé quelque part sur Internet.

    Otto Naumme

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  8. Il faut le reconnaître, même si je trouve le billet un peu soporifique.

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  9. Il vous aura peut-être échappé, Tenancier, que l'auteur de ce blog se sert d'un déclencheur : un billet de François Bon qu'il indique en lien sous son titre. Un billet dans lequel F. Bon s'est fait enguirlander par son libraire, lequel dans un moment de désespoir lui a dit sa façon de penser sur le truc numérique que l'on feuillette via une tablette de lecture. F. Bon, un peu susceptible sur les entournures, n'aura pas apprécié et déclaré dans son billet qu'il ne remettrait plus les pieds chez son libraire qui n'avait rien compris. (C'est bien connu, F. Bon comprend tout plus vite que tout le monde sur la Tablette millefeuille.)

    Pour faire suite à cette historiette, il n'est donc pas surprenant que l'auteur du blog aille creuser ce qui participe à la désespérance des libraires ou la fin de la librairie, comme on voudra. Les deux analyses, la sienne et la vôtre procèdent de deux approches différentes, une approche journalistique, tandis que la vôtre, Tenancier est une approche plus sensible, parce qu'on sent l'expérience de terrain. Forcément, elle est moins soporifique puisqu'elle intègre l'art du récit.

    _
    ArD

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  10. Pfff...
    Suis surpris en flagrant délit. Je n'ai plus qu'à maugréer dans mon coin.

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  11. Au fait, ArD, merci pour votre lien vers le billet sur Actes Sud que j'ai trouvé extrêmement clair et accablant, d'autant que la charge est due à l’accumulation des faits et non à l'opinion de son auteur. Remarquable, donc !

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  12. Au fait, Tenancier, avez-vous vu la Une du Télérama de cette semaine ?

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  13. Oui, George, je viens d'y jeter un œil. Je trouve ce papier nettement plus édifiant et documenté que le billet auquel je faisais allusion. En fait, j'ai rendu trop vite les armes, attribuant mon ire à un excès de paranoïa. Or, il se trouve que l'article de Télérama me conforte. Je recommande chaudement la lecture de l'article, donc, qui m'apparaît bien documenté et exposant la situation de la libraire française d'une façon fort claire. Là, je trouve qu'il y a un travail de journaliste. Me voilà donc à faire un nouveau revirement et à ne plus être solidaire de ce que j'avais admis du bout des lèvres.

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  14. Je n'ai pas lu l'article de Télérama (j'avoue que cette brochure n'est pas exactement ma tasse de café - je ne bois pas de thé). Mais une chose est sûre. Le ou les journaliste(s) de ce magazine ont certainement eus à leur disposition plus de moyens (et de temps, notamment, surtout s'ils ont fait la Une du magazine) pour réaliser leur travail que l'auteur du blog dont il est question (sans compter que s'il s'agit vraiment d'un blog en tant que tel, il a fait cela sans être rémunéré, donc en complément de ses activités professionnelles, ce qui n'est pas le cas des auteurs de Télérama...). Et, que vous l'ayez apprécié ou non, qu'il s'agisse d'un bon article ou qu'on le considère comme moyen, il s'agit quand même d'un bon travail journalistique, permettez-moi de pouvoir en juger. Après, le dossier de Télérama est sans doute meilleur, plus complet, plus fouillé. Mais cela ne doit pas enlever les qualités existantes d'un autre travail. Comme par exemple, avoir trouvé les chiffres de répartition des ventes de livres par canal de distribution - qui, au passage, montrent que ce sont surtout les GS et les GSS qui font du mal à la librairie spécialisée (en dehors d'elle-même, bien sûr), bien plus qu'Internet, à l'heure actuelle...
    A mon sens, il n'y a pas à "rendre les armes", ni même à opposer deux travaux différents dans leur approche (la manière dont ils ont été réalisés) et probablement leur contenu. L'un vous a peut-être plus convenu, cher Tenancier, mais l'on ne peut pour autant dénigrer les qualités de l'autre - il y a dans ce billet un vrai (et bon) travail journalistique, que vous le vouliez ou non (et je le dis d'autant plus facilement que je ne connais pas ce journaliste).

    Otto Naumme

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  15. On notera par ailleurs la faiblesse du site Web de Télérama, incapable d'y faire figurer la couverture et le sommaire de son édition en cours.
    Voilà des gens qui ont tout compris à la synergie entre "papier" et Web...

    Otto Naumme

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  16. Otto, seriez-vous le chouchou du Tenancier qui vous aurait envoyé un scan de l'article de Télérama ? J'ai cherché hier désespérément la une de leur numéro sur leur site, et de là à aller l'acheter, euh... Je préfère acheter le n° 1 de Barricade.

    ArD

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  17. Chère ArD, non, je le précise bien, je n'ai pas lu l'article de Télérama. Et, comme vous, je l'ai vainement cherché sur leur site.
    Quant à Barricade, j'avoue ne pas être trop fan d'une des personnes à sa tête. Il faudra quand même que je regarde, sans a priori...

    Otto Naumme

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  18. Aïe, on me dit qu'il ne sait pas bien folioter ses pages, et qu'il aurait oublié de bâtir sa revue sur une grille, pfff ! Pis !, il ferait de la pub pour ses œuvres et sa boutique, argh, l'enfoiré !
    Mais il y aurait malgré tout du contenu et un beau gris typographique !
    _
    ArD

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  19. Hum... Non, ce n'est pas exactement la teneur des reproches que je pourrais avoir à adresser à la personne en question. Mais cela n'a guère d'importance... (et je ne vous dirai pas de qui il s'agit, même si je sens la curiosité poindre...).

    Otto Naumme

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  20. Pour Télérama, j'ai fait comme vous autres et l'acheter...comme ArD...
    Reste la bib. mun.
    Râlâlâ...

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  21. Bien sûr, chère Adria. Je ne cherchais pas à trouver l'intégralité de l'article sur le site du magazine. Mais au moins sa couverture et son sommaire. Ca s'appelle de la promo pour la version papier, ça ne me semble pas le bout du monde.
    Et, effectivement, si j'ai envie de lire cet article, j'achèterais Télérama. Mais j'avoue que, bon, bref, non...

    Otto Naumme

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  22. Ah mais je cherchais la couverture surtout et j'ai trouvé cela incroyable qu'elle ne soit pas présentée.
    Haïssant la télévision, ce titre m'a toujours paru méprisable et je rugis quand j'entends un quidam se réclamer d'une critique (culturêêlle) issue de téléRAMA.
    Je me référais à ArD justement par le refus d'acheter ce triste titre mais ma curiosité m'emmenera à la bib...

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  23. Je vous rejoins sur la tristesse de ce titre et de son contenu, que je m'abstiendrai de qualifier, comptant rester poli...
    Quant à la communication écrite, quel écueil ! L'on se retrouve à ne pas comprendre que l'on exprime la même chose, c'est quand même dommage...
    Mais c'est comme cela.

    Otto Naumme

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  24. On peut lire la suite du billet sur lequel vous attirâtes notre attention, cher Tenancier, le 31 octobre, ici.


    ArD

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