Non, cher Phil, je ne vous ai pas oublié, seulement votre message s’était égaré dans un dossier que je consulte peu. Dans ce fort aimable message, vous vous interrogiez sur ce que pouvait bien être un Courtier en livre. L’espèce est étrange. Ainsi j’ai le souvenir d’un de ceux-là, être excentrique aux opinions politiques assez factieuses, voire cagoulardes (il était de cette génération) et qui circulait dans Paris, impérial sur son Vélosolex, une bombe de jockey sur la tête, en enfilant crânement les sens interdits. Une sacoche usée gisait comme un vieil animal mort sur le porte bagage de l’engin, bridée par des tenders. A l’intérieur, on était assuré de trouver une originale, en tirage de tête, avec envoi. Cet homme faisait donc la profession de Courtier. Il semble bien que cette activité qui comptait peu de membres se soit encore plus raréfiée. Cela consistait à gérer un portefeuille de clients bibliophiles et à aller à la pêche aux ouvrages rares soit en hôtel de vente, soit chez les libraires. Il arrivait parfois que ces courtiers vendent également à des libraires, souvent des exemplaires dont n’avaient pas voulu les clients : ouvrages de bibliophilie, éditions originales, illustrés, etc. Naturellement, le courtier prélevait une marge pour chaque transaction. L’intérêt d’une telle activité résidait évidemment dans le fait que le Courtier s’employait activement à compléter votre bibliothèque ou vos desideratas sans que vous-même ayez à vous déplacer à telle vente publique ou telle librairie à l’occasion de la sortie d’un catalogue. Évidemment, le recours à un tel intermédiaire était un sport de riche et, ceci impliquant cela, concernait des pièces plutôt rares et d’un intérêt exceptionnel, au point que l’amateur ne rechignait point à rétribuer ces personnages. Le courtier, au fait des goûts et des tendances – car il y en a en bibliophilie – devait être au fait du marché et posséder une culture assez étendue, en résumé être un interlocuteur, voire une sorte de « directeur » pour le bibliophile. Certains, du reste, ont pris en charge le catalogage des bibliothèques qu’ils étaient chargés d’alimenter. On le voit, cette profession est affaire d’érudition et dénote pour celui qui l’exerce un certain goût pour l’indépendance, si je puis me permettre cet euphémisme. Si j’en parle plutôt au passé, c’est bien parce que l’apparition d’Internet a facilité considérablement la recherche et l’obtention d’ouvrages, même fort rares. Le courtier en livre a été, en quelque sorte, remplacé par les sites de vente (l’érudition en moins, concernant ces intermédiaires, la plupart du temps). Il est cependant encore une sphère de la bibliophilie ou s’exerce le courtage – et où il est sans doute encore lucratif – c’est le domaine du manuscrit et des incunables dont on voit assez peu d’exemplaires circuler sur la toile. Ces objets de grande valeur appartiennent à une autre sphère du marché du livre, qui confine plutôt à celui du marché de l’art.
Il ne faut pas oublier non plus que le courtage permit ainsi à un éditeur comme Losfeld de survivre, voire de financer ses premiers projets d’édition. Cela portait sur la littérature érotique, domaine où la discrétion et l’intermédiaire étaient d’ailleurs indispensables au bibliophile érotomane, en ces années où les procureurs de la république gaullienne requéraient des peines de prison pour les pornographes. Car, rappelons-le, la statue du Commandeur avait une âme de rosière.
Phil, le reste de ma réponse – qui ne concerne plus ce sujet – sera dans le mot que vous ne tarderez pas à recevoir.
Bien cordialement…
http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Pollès
RépondreSupprimerSi le métier de courtier a disparu en tant que maillon intermédiaire, nous avons appris récemment que la gestion de portefeuille de clients par des libraires de bibliophilie existe bien; elle implique que certains ouvrages ne transitent ni par voie de catalogue, ni par voie de l'Internet. Une sorte de circuit protégé par les libraires actifs en bibliophilie.
RépondreSupprimerArD
Merci Tenancier. très honoré d'être ainsi notulé sur votre prestigieux blog. Le courtier est donc un personnage de la Comédie Humaine. Je m'en doutais. Il me manquait de connaître sa monture, le Solex, pour mieux saisir son désintéressemnt intéressé. Indeed, une belle activité, qui devait vous conduire dans les salons de la Sagan.
RépondreSupprimerMais il me semble que l'usure peut venir du commerce, je veux de la conversation, des bibliophiles..? Ces riches obsédés m'ont souvent paru l'être plus par la couverture, du livre, que par son contenu. Et la politique n'est jamais loin. Voir Henri Pollès, cité par cls, correspondant de Céline. ou Mitterrand envoyant ses courtiers piquer ses Chardonne. Courtier en incunables doit nécessiter le port de gants blancs..
CLS, merci pour le lien.
RépondreSupprimerArD, c'est évident, le librairie prend toujours soin de ses très bon client et tente toujours d'aller au devant de ses désirs. Mais après tout, c'est le propre du métier : agir en fonction de son interlocuteur et ne pas rester derrière son comptoir à attendre le chaland. Difficile, entre nous, pour moi, de remplir cette mission puisque pour bien connaître un client, il faut le recevoir de temps à autre dans sa boutique et discuter avec lui. Or, je n'ai pas de boutique... Le dialogue est essentiel dans cette pratique.
Phil, c'est à moi de vous remercier. Ces personnages pourraient - vous avez raison - figurer dans La Comédie Humaine ou bien dans Le Français peints par eux-même. Celui que je décris était un cas, mais ce sont souvent des personnages excentriques ou un peu en marge. Comme je l'indique, l'apparition du net a un peu bouleversé la donne. S'il existe encore des courtiers, il n'exercent plus dans les mêmes condition. Pour ce qui concerne les bibliophiles, il faudrait que vous retrouviez l'amusant petit texte - du Bibliophile Jacob, je crois - qui dresse un tableau des amateurs de livres. En vérité, il existe des bibliophiles passionnants et lettrés. Il faut tout de même faire justice de cette image du maniaque avec l'armoire en fer : ils ne sont pas tous comme ça. Pour la politique, là aussi il faut modérer notre approche. Sont-ce les hommes d'opinion ou les écrivains qui sont recherchés ? Mitterrand avait peut être des courtiers, mais je peux vous assurer qu'il passait lui-même dans les librairies. Je me souviens que mon Patron (Max-Ph. Delatte) lui avait vendu Le Lys de Mer de Pieyre de Mandiargues en tirage de tête. Le Prez c'était déplacé en personne, seulement accompagné de flic en "civil" (reconnaissables à 3 km, mais ceci est une autre histoire). Mitterrand a clos, provisoirement on espère, cette filiations des hommes d'état bibliophiles, comme nous avons eu par ailleurs des diplomates poètes (Villepin en étant un très pâle surgeon).
A noter : Paul-Louis Courtier est fatalement un héraut de cette profession (mais il n'avait pas encore de Solex à l'époque).
RépondreSupprimerCe commentaire va vous valoir, Dominique, un place au Panthéon des vermotiseurs de ce blog.
RépondreSupprimerMerci Tenancier pour ces récits de première main.
RépondreSupprimerCe midi, suite à la lecture de votre note, j'ai acquis deux pléiades d'occasion simplement pour jouir de la possession d'exemplaires frappés d'un ex-libris dont la simplicité élégante me ravit. J'ai tout de même vérifié les titres avant de conclure...mais je vous confirme avec plaisir que l'ex-libriseur, tout à son raffinement, n'a jamais pris le temps d'ouvrir ses volumes. Les intouchés sont trahis par les signets pliés comme neufs, autre bonne raison de les acquérir. L'homme possédait au moins une cinquantaine de volumes de la même facture, c'est à dire jamais lus. vous me direz, certains achètent de la pléaide pour tapisser leurs murs. Mais y apposer un bel ex-libris me semble au delà des intérêts d'un tapissier-lecteur.
où je voulais en venir: lequel de nous deux fait acte de bibliophile ?
cela dit, une pléiade n'a pas le charme d'une tête de tirage. J'ai bien croisé aussi une édition originale en hollande (le papier, pas le pays), d'un gallimard des années 20, mais qu'un seul volume sur les deux que comptait ce roman. et puis c'était une traduction de l'anglais. alors non. Même des années 20, la tête de tirage comme la tête de cuvée ne supporte aucun filtre.
Mais — à moins d'être contrariée par le Tenancier —, c'est vous qui faites acte de bibliophilie Phil, puisque l'unicité de la pièce est à peu près le seul critère qui va faire sortir la pièce en question du champ de comparaison et lui affecter son attribut bibliophile. Or, l'unicité, vous l'avez avec l'ex-libris (!)
RépondreSupprimerArD
ArD, votre diagnostic me plaît. Je m'en vais caresser le relief de cet ex-libris, en songeant au hollande que j'ai laissé choir à cause d'un volume manquant. Vous avez raison, caresser un hollande n'est pas mal non plus, mais cela resterait un plaisir partagé. Et je ne sais plus très bien si nous sommes toujours dans le domaine de la bibliophilie ou de la papierophilie, si j'ose écrire.
RépondreSupprimerComme on me le reprochais ailleurs, au bas d'un autre billet, mes amis répondent à ma place. Et ils répondent bien.
RépondreSupprimerJe ne vois rien à ajouter à ce que vous a dit ArD, Phil...
Intéressant article.
RépondreSupprimerQui me fait penser que j'ai un Solex à vendre (bien que n'ayant jamais été courtier).
Otto Naumme
Tiens, Otto, où étiez-vous donc fourré ? Quoique l'on vous sente plus farce que fourrage...
RépondreSupprimerEt c'est moi qui "vermotise"...
RépondreSupprimerBref.
J'ai juste passé quelques jours loin d'Internet et toutes ces sortes de choses, des études sur la nature humaine, en quelque sorte.
Otto Naumme