Enfin bref.
Aussi bien il s'avère pensable et possible, sinon pertinent, de réduire notre pèlerinage terrestre - et qu'il y ait ou non pèlerinage n'est pas, ici et maintenant, la question... - en la compression trinitaire suivante : naître-consommer-mourir.
Je suis donc un consommateur, et vous aussi.
J'achète, je vends, j'échange, je troque, je truque, je paie (content ou non), je rembourse, je capitalise, je réserve, je trie, je goûte, je dévore, je jette, je digère, je cuve, j'évacue. Ainsi va la vie, en son cycle occidental et programmé : lavage-rinçage-essorage, cette autre trinité.
Sans vouloir m'ériger en quelque Lacan de comptoir, bien que rarement récalcitrant pour remettre ma tournée, et sans vouloir, évidemment, me faire plus chirurgien que l'opérateur de saisie au bistouri à laser ou même plus carnassier que le garçon boucher au hachoir, je n'hésite pas à clamer haut et fort, sans abstinence et sans procuration, et sans ambages, la véracité de cette ternaire strangulation : je suis (et vous êtes) un con-sot-mateur.
Amen.
Oui mais...
Peut-on tout consommer, c'est-à-dire tout acheter et tout vendre, comme on achète ou vend un paquet de lessive ou une savonnette - ah, les déjà vieilles images... -, ou bien existe-t-il des biens et des services - ah, le froid langage... - doués pou la " sanctification ", sinon la " sanctuarisation" ?
Jé réponds : Eh bien oui, je crois que ça existe. Et permettez à l'homme de mauvaise foi que je suis de n'avancer ni indice ni preuve, comme dans toute affaire de foi remarquez.
Ainsi des livres et du vin...
Quoi ? Vous doutez déjà ?
Essayez donc, espèce de mécréant, d'acheter ou de vendre une messe, noire ou pontificale c'est selon, en faisant l'impasse sur le livre et le vin. Pour sûr, en deux temps trois mouvements, vous auriez tôt fait de vous métamorphoser en gourou, emballé dans une aube blanc cassé forcément crasseuse sur les franges, en train de stigmatiser la foule des abstèmes et des illettrés - comme chacun sait les populations les plus vulnérables...
Ou bien essayez de vous répandre dans une (ker)messe de quartier ou de village qui mettrait sous le boisseau les vices et les vertus de la littérature et de la viticulture, alors, très tôt, à la grande satisfaction des assis dans la crise, vous connaîtriez le vide-grenier l'emporter sur le vide-cave avec, comme corollaires, de la bière dans des gobelets en plastique supplanter les petits vins de pays et les grands vins du pays, et des mauvais livres de poche New Agés et faussement policiers, entassés dans des cartons miteux et poussiéreux, planter la grande bibliothèque qui, tel un tuteur ancestral mais solide, nous tient debout en dépit des bitures et des tortures et malgré la marchandisation de la vulgarité et de la mort.
À ce stade de la compétition - puisque c'en est une -, je convoque deux figures tutélaires, mais en aucun cas gélifiés, de mon paysage renouvelé, deux clercs (pas de notaire, je vous rassure) éclairants et éclairés, bref une paire qui, foi(e) de buveur-lecteur, a pour vocation " chimique " d'alimenter et d'abreuver ses (é)lecteurs afin qu'ils ne deviennent pas des croyants aveugles, des moutons de Panurge, des bêtes (à bon dieu) : le Tenancier (alias Monsieur Yves) et Henri Lheritier.
Figurez-vous que ces deux étoiles montantes de ma cervelle décrassée se sont déjà rencontrées.
En ses Feuilles d'automne, mais les feuilles d'automne n'ont rien à envier aux vignes d'automne et réciproquement, le Tenancier s'est déjà fait l'écho, le 11 août 2008, de cette rencontre au sommet (de leurs arts respectifs)... Pour les non-initiés à l'archéologie bloguesque, je le cite :
" [...] régulièrement, Henri Lheritier, négociant en vin, vigneron, rédige une note sur ses lectures, avec des prédilections (Constantinople, les femmes callipyges…), avec style, pertinence et humour. Et, régulièrement, nous nous retrouvons dans les réactions ou la dissipation règne souvent mais également quelques moments d’érudition auxquels Henri se mêle toujours avec retenue et justesse. Cela devient une sorte de cours de récré ou nous nous ébattons à petit nombre sous l’œil bienveillant de Henri.
Hélas, il en va des blogs comme il en est des relations épistolaires. On a envie soudainement que l’interlocuteur prenne corps, lui donner une image, une voix.
[...]
Alors, je suis passé à Rivesaltes.
La Maison du Muscat était fermée à l’heure du déjeuner, ce qui m’a permis de découvrir l’excellent petit restaurant d'été qui partage la même cour – on y trouve également un antiquaire – et dans lequel j’ai dégusté pour la première fois un des vins de Henri.
Et puis, ce fut la rencontre.
Mais que pouvaient se dire deux timides soudainement confrontés l’un à l’autre ? Ces rencontres sont toujours constituées de regrets et de non-dits. Pour s’en affranchir, il eut fallu s’arrêter plus longtemps.
Que l’on ne cherche pas à en savoir plus sur ma visite. Je convie le curieux à visiter son site. Durant notre trop bref échange, j’ai tout de même eu la chance de voir où Henri officiait, voir un bout de sa bibliothèque, rapatriée dans son entrepôt.
Et puis j’ai eu le temps de goûter ses vins.
Nous nous sommes parlé... un peu.
J'ai acheté quelques bouteilles.
Maintenant, je peux boire et lire du Henri Lheritier.
Et je médite d’y retourner, m’attabler avec lui autour d’une bouteille de Muscat et deviser jusqu’au bout de la nuit. [...] "
L'autre jour, plus justement l'autre nuit, j'ai fait un rêve : le Tenancier, Henri Lheritier et autres joyeusetés venaient de me rejoindre à Strasbourg. Nous étions dans un restaurant où notre tablée dévirtualisée - enfin ! - se délectait d'une choucroute royale aux cinq viandes flanquée d'un riesling de derrière les ceps... L'endroit de notre agape donnait sur la place Gutenberg. Alors je me suis dit que l'inventeur de l'imprimerie valait bien cette bacchanale, cet hommage guttural et intestinal, tout le reste, n'est-ce pas, étant (mauvaise) littérature...
Christophe Borhen
Sur ce coup-là (en matière de bach-anal ou de bas-canal), je préfère passer après Otto.
RépondreSupprimerArD
Christophe, si vous trouvez le "r" manquant, vous m'ôterez à titre définitif le goût d'écrire. Je suis soûle de vous avoir bu et rebu...
RépondreSupprimerAmen et thanks to you Otto !
Merci pour votre rêve aux parfums de chez moi...
RépondreSupprimerEh bien oui, Christophe Bohren et Yves, voici une rencontre qui ne manquerait pas d'attrait, ni de vin,ni d'écriture.
RépondreSupprimerOn peut y réfléchir. L'Alsace est une région d'appellation contrôlée, donc pas de problème.
En tout cas merci.
Henri
A qui s'adresse t-on ici, à Henri L, au Tenancier, au Taulier?
RépondreSupprimer@Chr.B vous faites court et long, j'aime la longueur en bouche
@Le Tenancier, la dé virtualisation est une étrange épreuve, heureusement que les bouteilles restent des repères
@Henri L. Je vous ai d'abord apprécié pour vos traits d'humour lapidaires sur la RDL avant de découvrir que vous étiez un artiste de la vigne puis un écrivain. Que reste-t-il dans la liste de vos talents que nous ignorons encore?
je suis perdu !
RépondreSupprimerTiens ?
RépondreSupprimerMoi aussi !
Rex Harrison
Écrit au diamant, ce post magnifique. Très bel hommage, et belle déclaration d'amitié. Très franchement, je souhaite à ces trois superbes plumes de se retrouver place Gutenberg, et de se savourer mutuellement autour d'un riesling.
RépondreSupprimer:-)
Au Tenancier : merci pour votre hospitalité.
RépondreSupprimerÀ ArD : pour le coup - je parle du déroulé des commentaires -, c'est ce cher Otto qui passera derrière vous, si toutefois il décide de sortir de sa tannière automnale.
À C. Watson : vous remerciez déjà Otto ? Je trouve que vous faites dans l'action de grâce précoce.
À Henri : "On peut y réfléchir", dites-vous. Là-dessus, je vous fais toute confiance.
À Zoë Lucider : si j'étais Otto, j'émettrais bien quelques considérations bien senties sur la longueur du goupillon du Taulier (entendons-nous bien : je dis le Taulier, pas le Tenancier), mais bon, je ne suis que moi.
À Corynne : je vous en prie. De plus, il est vrai que contrairement à une rumeur tenace le chou fermenté et la viande de porc fumée dégagent des arômes pas du tout désagréables.
À Cactus homme lézard & Rex Harrison : vous nous trouverez au bord du Rhin, précisément entre Vosges et Forêt-Noire.
À Sophie K. : merci. En outre, ton "se savourer mutuellement" ne manque pas de saveur.
Bien. Je vois qu'en mon absence, je ne suis toutefois pas oublié, que cela soit pour de bonnes ou moins bonnes raisons...
RépondreSupprimerDonc, cher Christophe que je me réjouis de lire en ces pages, j'avoue que je me joindrais avec plaisir à vos alsaciennes agapes (qu'on ne puisse dire "agapes get no satisfaction"). J'ai toujours eu un faible pour les vendanges tardives. Mais, en retour, je me garderai de sentir un quelconque goupillon ou de bader sur l'une quelconque de ses dimensions.
Quant à notre chère ArD, je serais bien malpoli de passer avant elle en quelque circonstance que ce soit (et que personne n'y voit là de remarque oiseuse, il n'y en a pas !). Je dirai juste, pour la contenter, qu'il est normal que l'Alsace accueille ces bacchanales. Et que les suivantes se passent du côté de Toulouse. Nous pourrons ainsi passer des bacchanales du Rhin aux bacchanales de la Garonne...
Quant à vous, chère C. Watson, je vous remercie de me remercier, mais j'avoue que je ne sais pas de quoi vous me remerciez. Un grand merci, donc.
Pour le reste, grand polisson de Chr. Bohren, n'avez-vous pas honte de de taquiner Zoé Lucider avec vos idées de goupillon. Et, qui plus est, de me mêler à cela ?
Otto Naumme
Ouais, bien... Je préfère la célébration de l'instant et de la vie à la commémoration des morts— sauf s'il s'agit de Gutenberg, bien entendu. Pour lui : un clin d'œil amical par-delà la tombe.
RépondreSupprimerQuitte à jouer les rhabilleuses de robes à queue, je souhaiterais oindre ce qui pourrait n'être qu'un pur malentendu. Par « goupillon », dans un commentaire sur le mystère de l'Abeille n° 2, cher Chr. B., j'entendais une petite brosse ronde emmanchée, servant à gazer dans les endroits d'accès difficile. On peut le trouver indexé sour le nom de « tête hollandaise », ce qui, je l'avoue, me laisse rêveuse sur le charme hollandais.
RépondreSupprimerQuant à ses dimensions, grandes ou petites, nous conviendrons que c'est un peu chou pour chou.
Chr. B., encore, votre évocation des potentiels moutons de Panurge abreuvés par le Tenancier et Henri L., le tout se déroulant sur la place Gutenberg... Vous faites très très fort, lorsqu'on sait que « Bê ! Bê ! » était une espèce de cri d'appel poussé dans certains ateliers par des imprimeurs altérés. Félicitations.
ArD
Un rendez-vous à trois, ça bourre ?
RépondreSupprimerBlague à part, cher Christophe, moderne Khayyam, merci pour ce bel hommage à Hermès et Bacchus. Je le dis d'autant plus sincèrement que j'ai consacré l'essentiel de mon existence à acquérir des livres et des bouteilles de vin, et à m'empresser de les engloutir — les uns hélas bien moins vite que les autres —, en constatant souvent que leur ingurgitation simultanée s'avère rapidement problématique.
De la musique avant toutes choses
Et pour cela, préfère lamper…
Du coup, je me sens en odeur de sainteté (voir ici)…