Je hais les pubeux

Jusqu’à maintenant, personne n’a semblé réagir à cela :




Il n’est pas dans mes usages de critiquer les gens avec lesquels je travaille - d’autant que je ne puis que me féliciter de collaborer avec AbeBooks. Cela dit, il est des remarques qui seraient bonnes à transmettre :
Qui a cru que cette blague était drôle ?
Qui pense que l’on pouvait faire une plaisanterie aussi balourde avec les rasoirs et Van Gogh ?
Et pourquoi pas Maupassant, tant qu’on y est ?
Et pourquoi pas un traité des échasses pour Toulouse-Lautrec ?
Généralement, je me contrefiche du « politiquement correct ». Je ne critique même pas ici le côté farce mais bel et bien la manière et aussi le fond : est-ce que l’auteur de cette blague a lu la vie de Van Gogh, et après l’avoir fait, aurait-il eu envie de la refaire, cette vanne à deux balles ?
Savait-il que ce marque-page était destiné aux libraires ou pense-t-il que l’espèce est déjà éteinte ?
Est-ce que ce publicitaire à la ramasse pense que nous sommes tous victime de la même anomie que lui ? J’espère en tout cas qu’il a été modeste pour ses honoraires.
Ceci me fut livré en plusieurs exemplaires, accompagnés d’autres accessoires : sacs, stylos, rubans adhésifs, etc. Jusqu’à maintenant, je n’ai pas mis ces marques-page en circulation. Je ne le ferai d’ailleurs pas. Je refuse catégoriquement d’être lié à ce que trimbale cette blague derrière elle. J’espère qu’à l’avenir, AbeBooks réfléchira à ses plans marketing ou, mieux, que ce site demandera aux libraires ce qu’ils en pensent.
Ce serait mieux.
Soulagé de mon courroux, je retourne classer ma collection de blagues Caram’bar.

Les chats de Napoléon à Paris

L'auteur de ce blog, jugeant que sa production est un peu élevée et que la moindre panne d'inspiration pourrait nuire au rythme imposé par lui, a décidé de lever un peu le pied avant que de subir d'une manière trop pregnante le vertige du prompt palpitant (équivalent électronique de l'angoisse de la page blanche).
En conséquence, le soussigné va emmagasiner quelques articles et les publier à raison d'un ou deux textes par semaine. Au bout d'un an cela fera tout de même une belle quantité.
Reste que l'envie d'être lu demeure.
Sinon, l'on ne ferait pas de blog.
N'ayant pas les ressources immodérées du marketing, nous nous bornerons à faire preuve d'une astuce qui a déjà fait ses preuves.
C'est François Valorbe, publiant son ouvrage intitulé Napoléon et Paris, qui donne la voie à suivre. L'auteur, ayant décidé d'être lu, s'était renseigné sur les titres les plus vendeurs, d'où icelui nommé ci-dessus - n'ayant du reste aucun rapport avec le contenu.
Désormais, ni Napoléon ni Paris ne font autant recette qu'en 1959, année de parution du livre, chez Losfeld.
Restent les chats.
Nous intitulerons donc ce bref article : «Les Chats de Napoléon à Paris» ce qui va rendre ce blog éminemment populaire et consensuel. Bien entendu, nous mettrons également une photo.

Une petite mort de Don Quichotte

Existe-t-il un « cimetière des éléphants » pour les livres ? Où vont-ils, tous ces volumes outragés par le temps et le manque de soin, quel est leur destin ? Que fait-on de tous ceux que l’on s’est refusé à acheter ou à conserver dans sa bibliothèque ?
Poubelle ?
Cheminée ?
Broyeuse ?
Que cette éventualité échoit au tout venant du roman de gare ou à l’écrit politique, rien que de très anodin. Après tout, ce ne sont que des produits à obsolescence rapide. Non, je veux parler des livres véritables, source de joie, de plaisir et de culture, enfin, vous savez, ces trucs, là, qui font réfléchir…
Oui, enfin, vous voyez, quoi.
Cette question, je me la suis posée fréquemment jusqu’à ce que je sois directement concerné. En effet, j’achète des livres par lots, j’achète également des bibliothèques et l’on y maîtrise nettement moins le contenu de ce que l’on acquiert parfois. Ainsi, chaque achat comporte son lot de « drouille », de livres indésirables, invendables, laids… je vous laisse compléter. Et puis, il y a les crève-cœur, les livres incomplets, détruits, bancals. Ce ne sont pas forcément des chefs-d’œuvre de la bibliophilie, seulement des objets devenus émouvants.
Une de mes rencontres les plus désolées avec ce genre de livres a pris la forme de deux volumes d’une édition ancienne de Don Quichotte. Chaque fois que je les regarde, je ressens un vague sentiment de culpabilité, une gêne dont j’ai du mal à me défendre. Ces livres errent d’ailleurs dans une zone de non-droit, entre ma bibliothèque (qui est dans mon bureau) et le tas d’ouvrages, derrière moi, en attente de catalogage.
Ce sont deux petits in-12° qui ont été dépouillés de leur cuir, il n’y a plus que leurs aies pour les recouvrir, deux morceaux de carton, impudiques, mouillés et tachés, mais encore tenus par des nerfs apparents, encore serrés fermes comme des cordages de navire. Peut-être est-ce cela qui partira en dernier, comme un squelette, une épine dorsale. Un des volumes a perdu un cahier, les deux n’ont plus de page de titre, le papier a bruni, est taché et mouillé à certains endroits également. Ce sont deux épaves d’une petite escadre qui naviguait autrefois vaillamment dans les rayons d’un honnête homme. Combien y en avait-il à l’origine ? Cinq, six tomes ? Ici, ce sont les tomes IV et V. Ultime outrage, on a collé des petites vignettes chromolithographiées sur le contreplat d’un des volumes. Une indication du Brunet (Manuel du libraire) laisse supposer que cette édition date de la fin du XVIIe siècle ou bien du début du XVIIIe.
Que de regrets, que de regrets...

Mais que veulent me dire ces ouvrages, quelle est la signification profonde de leur présence à mes côtés ?

Quel est leur message ?

En fin de compte, je l’ai peut être trouvé dans une gravure du cinquième tome…

Traduttore, tradittore ?

Comme plus de 500 confrères, je vends mes livres par l’intermédiaire du site Livre-rare-book.com.
L’une des « fonctionnalités » du site consiste dans le fait que vous pouvez nous contacter pour lancer une recherche autour d’un livre, faire vos remarques ainsi que vos réclamations. Il y a peu de temps, nous avons reçu le mot suivant :

Courrier :
« Madame, Monsieur,

J'ai visité avec un grand intérêt votre site et y ai découvert plusieurs des ouvrages que j'ai eu le plaisir de traduire. Je relève que vous y citez les titres, le nom des auteurs et des éditeurs, et à vous lire on a l'impression que ce livre a été écrit directement en français.
Mon nom cependant ne figure nulle part dans votre recension.
Comme si mon travail n'existait pas. Puis-je vous rappeler que le code de la propriété intellectuelle, qui reconnaît au traducteur le statut d'auteur, le code des usages pour la traduction d'une oeuvre de littérature générale, la norme AFNOR NF Z 41-004 rendent obligatoire " la mention du nom du traducteur partout où est cité le titre de l’œuvre, quels que soient la nature et le mode de diffusion de celle-ci : presse, édition, théâtre, radio, télévision, cinéma ", etc.
Certaine qu'il ne s'agit que d'un oubli regrettable de votre part, oubli que vous aurez à cœur de réparer au plus vite, et dans l'attente de votre réponse, je vous prie de croire, Monsieur, à l'expression de mes sentiments distingués. »
Ici, vous auriez dû trouver la signature. Comme je n’ai pas demandé l’autorisation de reproduire cette lettre nous laisserons cette personne dans l’anonymat. Signalons seulement que, parmi les livres dont elle s’est occupée, certains ont atteint un tirage confortable.
Voici ma réponse, envoyée directement à la personne mais également par le canal de livre-rare-book :

« Chère Madame,
J'ai lu avec intérêt votre remarque à propos de la mention du traducteur dans les notices établies par les libraires. C'est une pratique à laquelle je me soumets biens volontiers pour ma part et ce pour deux raisons au moins.
La première est la courtoisie élémentaire que l'on doit au "pourvoyeur" d'un texte.
La seconde est le besoin de précision lorsqu'il s'agit d'un texte ayant eu plusieurs traductions ou bien alors si le traducteur est quelqu'un dont l'importance pourrait attirer le connaisseur, le bibliomane, voire le bibliophile.
En revanche, ce que vous mentionnez pour les normes ISO me surprend quelque peu. Je pensais que cette norme n'était valable que pour la vaillante corporation des bibliothécaires et des archivistes... Par ailleurs, ce sont des recommandations et non des obligations... Je remarque d'ailleurs que la tradition de la librairie - antérieure à ces normes - a intégré depuis très longtemps ce genre de mention dans la rédaction des catalogues de vente ainsi que dans les notices sur internet. Si ces mentions sont absentes, il peut s'agir soit d'un bouquiniste pressé ou d'un libraire inattentif. On pourrait aussi invoquer l'ignorance des usages. Cependant, je trouve dommage que vous invoquiez une norme comme impérative, et même comme une obligation légale, là où il n'aurait fallu - comme vous l'avez fait au début de votre intervention - qu'un simple rappel au bon sens et à la reconnaissance de votre travail, ce que, pour ma part, je vous reconnais bien volontiers.
Je pense que le dialogue avec les libraires est toujours possible et préférable. Je regrette que la frustration de ne pas retrouver votre nom dans des notices vous pousse à nous imposer une correction édictée vraisemblablement par des gens qui n'ont qu'un aperçu lointain du catalogage en librairie.
Je vous prie, d'accepter, chère Madame, mes cordiales salutations.

Yves Letort - Feuilles d'automne »

Les interventions de quelques confrères ont été autrement plus virulentes que la mienne. A la réflexion, je leur donne raison a posteriori. Il y a un certain manque de savoir-vivre a assortir une réclamation d’une apparence de réglementation ou d’obligation administrative, comme si l’on voulait sanctionner une faute. Ce manque d’humilité est irritant. Irritante également cette obligation hypothétique.
Enfin, j’espère qu’elle l’est ! Parce que si l’on a le devoir d’appliquer les normes ISO, AFNOR ou autre à la description de nos ouvrages, nous avons du souci à nous faire. Et cela risque d’être plutôt triste pour la lecture de nos notices.
Mais la sottise réglementaire n’as pas de fond.

Mais pourquoi écrivent-ils dedans ?

-« Quel est le bougre de cochon qui a salopé ce bouquin ? »
Oui, en gros, c’est le genre d’exclamation – en moins aimable – qui sort parfois de mon bureau lorsque je fais le recollement d’un livre avant de le rentrer sur mes listes. Il arrive parfois qu’un ouvrage ait subi l’affront d’une ou plusieurs annotations de la part d’un précédent propriétaire. Si j’étais doué pour l’understatement, je qualifierais celui-ci d’indélicat et comme nous sommes dans un blog qui ne se veux pas confidentiel, j’en resterai là.
Mais je n’en pense pas moins.
On va croire qu'il n'existe qu’un livre dans mon fonds, mais j’ai de nouveau choisi le numéro de la revue The Quarto, qui recelait déjà une brunissure due à un marque-page oublié, pour vous montrer un exemple de ce type de dégradation :

Stylo-plume et crayon, soulignures, notes marginales, on peut dire qu’il ne s’est pas privé !
Ce qui est plutôt admissible et attendu pour un ouvrage scolaire ou universitaire – du reste on en fait pas l’acquisition - devient une déconvenue pour une revue de luxe. Il ne semble pas que l’auteur de ces annotations en ai eu conscience ou que cet aspect des choses lui était négligeable, signe d’un propriétaire au-dessus des contingences matérielles ou alors doté d’une ignardise abyssale.
Un libraire est tenu de faire le recollement des livres qu’il met en vente. Rien de plus logique et normal. Il doit vérifier les vices de ce qu’il vend et en faire un descriptif conforme. Ce sont les usages du métier, c’est tout bêtement faire son travail. Mais il se peut que l’on commette des omissions, des bévues, des erreurs, appelez cela comme vous voulez. Il faut alors savoir faire immédiatement amende honorable et réparer le préjudice que l’on cause à son client.
C’est le prix d’une réputation et d’un travail sérieux.
Pourtant, parfois, ces annotations manuscrites peuvent avoir leur charme, pourvu qu’elles dépassent les limites d’un travail personnel.
Ainsi, je possède dans ma propre bibliothèque un ouvrage de Fosco Maraini sur le Japon abondamment commenté – au crayon à papier ! – et qui constitue un dialogue critique avec les propos de l’auteur. C’est à une lecture à plusieurs niveaux à laquelle nous sommes conviés, d’autant plus plaisante que les notes sont produites par un homme d’esprit, plutôt sévère à l’occasion. Hélas il restera à jamais anonyme pour moi.
C’est sans doute pour cela que j’ai le compliment facile.
Tous les livres ne comportent pas des annotations laudatives.
Parfois ça flingue.
Voici la notice d’un autre ouvrage que je mets en vente :

«[…] Ouvrage agrémenté de quelques commentaires au crayon à papier peu amènes sur l'ouvrage : ''Livre idiot'', ''mal écrit'', ''mensonges'', ''bave haineuse'', qui font penser que ce roman se situant en Afrique coloniale n'a pas eu la faveur des habitués de cette bibliothèque militaire. Pas de quoi se laisser décontenancer pour autant, la littérature récente regorgeant de livres encore plus idiots. On peut donc juger que ce présent ouvrage est sauvé par son lecteur, malgré lui. »
Il s’agit d’un ouvrage de J.C. Holl : Les casques blancs.
Comme quoi la méchanceté conserve.
Enfin, si vous possédez un ouvrage annoté par un auteur connu, inutile de vous dire que cela a beaucoup d’intérêt. Reste à démontrer que c’est bien l’auteur qui a rédigé ces notes.
Cela dépend aussi de l’auteur…
En ce cas, la méchanceté ne conserve pas.

Un p'tit tour chez Emmaüs

Généralement, un libraire ne révèle jamais les endroits où il se procure les livres. Il craint que la concurrence ne s’abatte sur le lieu et le vide tel un nuage de sauterelles en Afrique subsaharienne. On pourrait volontiers faire une exception en citant Emmaüs. Vous en trouverez toujours un près de chez vous, plus ou moins garni de ce que vous cherchez.
Celui qui est à côté de chez moi possède un ancien hangar agricole bourré de livres. Il ouvre le samedi, le dimanche et le mercredi, il est à une petite dizaine de kilomètres de ma librairie.
Voici comment on procède pour y faire ses emplettes :
Rendez-vous une demi-heure voire trois-quarts d’heure avant l’ouverture devant la grille de la Communauté locale, à se geler ou cuire selon les saisons, histoire d’être bien placé. Rassurez-vous, vous ne marinez pas seul. Vous vous retrouvez avec des brocanteurs, des bouquinistes ou des mères de famille sans le sous et qui viennent habiller leurs mioches à peu de frais. On piétine, on lie conversation, parfois, rarement avec les gens qui sont dans la même branche, de choses très vagues en tout cas. Vers 14h25, la tension a monté d’un cran, on se masse contre la grille, on sent les starting-blocks qui frémissent sous les talonnettes. On se tait, on envisage l’adversaire potentiel.
Il va y avoir une longue course à faire.
14h30 : ouverture des grilles, c’est la ruée. Le sprint dure une centaine de mètre dans une ancienne ferme en forme de U. On fait attention à ne pas renverser les poussettes, à ne pas bousculer les quelques personnes âgées aussi.
14h31 : Arrivée dans le hangar en question, on grimpe au premier étage, là où sont censées se trouver les plus belles pièces.
Sauf que…
Sauf que je ne cours plus et que je ne vois pas un intérêt particulier à aller à cet étage pour un « chopin » potentiel ou simplement pour avoir la satisfaction d’être le preum’s.
D’abord, je dis bonjour aux membres de la Communauté qui s’y trouvent et je commence mon petit tour dans le hangar.
Lorsque l’on cherche, il convient d’être méthodique, commencer son tour en haut à gauche pour finir en bas à droite de l’entrepôt. On fait chaque rayon livre par livre. On réserve une main pour le tas de bouquins que l’on constitue au fur et à mesure de la progression entre les travées, l’autre pour retirer les ouvrages du rayonnage ou se moucher, car vous évoluez dans le royaume de la poussière. Lorsque votre bras fatigue, vous le déposez (le tas de livre, voyons !) au bureau au fond ou un membre de la Communauté vous le met de côté, et vous reprenez là où vous aviez abandonné.
Avec cette méthode, il faut faire fi des déconvenues. Tel sale type est passé devant vous avec une pile de Louis Guilloux que vous auriez pu prendre si vous étiez allé tout de suite devant le rayonnage où sont entreposés les Gallimard. Tel autre vient de prendre un tome d’Autour d’une vie de Pierre Kropotkine sans se soucier de prendre son pendant, or celui-ci est un bouquiniste… donc du métier, mais la chose n’a pas l’air de l’effleurer. Vous maugréez. Mais tant pis, vous prenez le tome qui reste, pour Kropotkine (une édition de 1921), pour les moments enchantés qu’il a procuré à sa lecture qui est moins un manifeste qu’un ouvrage d’une immense modestie. Ce tome II attendra sûrement longtemps son acquéreur.
Les heures passent, vous êtes toujours dans la poussière qui volète autour de vous. Peu vous chaut, vous n’avez pas mis de chemise blanche mais une vieille limouille de circonstance.
Au bout de la journée, la foule qui remplissait l’entrepôt s’est clairsemée. C’est le moment où, parfois arrivent quelques livres que des Compagnons ont été débarrasser dans la région. Un Gracq en édition courante, un livre sur la Maison du Docteur Blanche, etc. vont rejoindre le lot.
Ça y’est, vous êtes arrivé au bout de votre pérégrination entre les InchAllah et les Mektoub, entre l’espoir et la fatalité. Vous avez rempli un carton, voire deux. Ça vous coûte une trentaine, une cinquantaine d’euros, tout dépend. Vous y avez passé l’après-midi et vous êtes lessivé.
Mais content.
Oh ! Vous ne l’êtes pas vraiment pour ce que vous avez acheté mais parce que vous vous êtes prêté à une sorte de quizz sans buzzeur, exercé votre mémoire et votre sagacité à acheter quelques bouquins, lesquels ne constitueront pas les plus belles pièces de votre fonds, loin s’en faut. Seulement, vous les avez choisis, vous en ferez un descriptif, les insérerez dans vos listes, leur redonnerez une seconde chance. Dans le lot, vous avez récupéré une trentaine de numéros de la NRF des années 30, un livre de Jacques Bens, un autre de Dominique Rolin… rien de très bibliophilique, mais la librairie comme je la pratique est faite aussi de cela, de quelques ouvrages un peu moins huppés, mais dont le contenu est attrayant.

Comment ?
Je ne vous ai pas dit ou cet Emmaüs se trouvait ?
Ça va pas la tête ?

Quand un marque-page fait trop bien son boulot

Puisque nous étions dans les choses que l'on trouve dans les livres, restons-y. Une des activités secondaire de la bibliomanie est la recherche compulsive du marque-page. Il m'arrive parfois de me promener dans les dépôts d'Emmaüs. Je leur achète de moins en moins de choses – cela fera l'objet d'un autre propos – mais j'aime déambuler dans l'odeur du vieux papier. Il y circule également une espèce furtive qui feuillète les livres non pour leur contenu mais dans l'espoir de trouver ces petits rectangles de carton. Inutile de préciser qu'une fois leur butin trouvé, certaines de ces personnes ne passent pas forcément par la caisse...
Lorsque l'on sait les prix des livres pratiqués chez Emmaüs, c'est ajouter de la bassesse à la mesquinerie, ce qui n'est pas pléonastique de mon point de vue.
Je possède une collection de marques-page.
Bien malgré-moi.
Cela rempli honnêtement une boîte à chaussures (taille 42). Ces marques-page ont été retrouvés dans les livres et je les en retire.
Pourquoi ?
Regardez bien l'image ci-dessous :





Les marques laissées par ces objets peuvent être désastreuses pour un livre. Cet ouvrage est un numéro de la revue The Quarto, publication anglaise de 1896 assez plaisante, contenant nombre de gravures et de nouvelles d'auteurs comme Chesterton, par exemple. La marque laissée est tellement nette que l'on y devine une publicité pour un vermouth. Cela indique que le marque-page est resté longtemps enfermé pour accomplir son oeuvre. Le papier qui le constituait s'est sans doute acidifié, à moins qu'il ne s'agisse du travail des encres de couleurs.
Voici un joli ouvrage gâché par un objet censé respecter le livre. A ce compte-là, il eut mieux valu corner la page, cela n'aurait pas été pire.
Laisser un quelconque papier dans un ouvrage précieux peut devenir fatal pour celui-ci. Le pire est la coupure de journal dont le papier acide fait brunir les pages par simple contact et ce très rapidement. Mais l'on voit que ce phénomène peut provenir également d'un simple marque-page oublié, apparemment anodin
Vous avez l'explication pour laquelle vous n'aurez que peu de chances de trouver un marque-page dans les ouvrages que je mets en vente.
Alors, ils s'entassent dans ma boîte à chaussure, en attendant.
En attendant quoi ?
Tttt... c'est comme ça que commence une collection.

Truffe & petits papiers




On trouve de tout dans un livre.
- Des tickets de métro
- Des tickets de cinéma
- Des articles de journaux, quelquefois sans rapport avec le sujet du bouquin
- Des cartes postales…
Et puis, on trouve l'image ci-dessus.
C'est Deaninckx qui, je crois, avait fait un roman sur les canaques du jardin d'acclimatation. Si l'on avait besoin de se convaincre que ce n'était pas une fiction, en voici la preuve. 1000 crocodiles, des canaques avec des “danses expressives”, le tout à Paris en 1931, comme l'indique le verso de ce ticket : du colonialisme sans arrière-pensée. Cela vaut bien des romans. Les livres truffés se font rares. Beaucoup de confères en suppriment le contenu. On ne peut leur donner tort, car la mauvaise qualité du papier dont sont constituées ces truffes peuvent tacher irrémédiablement un livre précieux. Pour ma part, j'élimine du livre tout ce qui est sans rapport et je m'arrange pour que les documents restants soient contenus dans un papier un peu plus neutre, si possible. Le reste constitue un musée secret, une exposition permanente à côté de mon bureau. On reviendra de temps à autres sur ce sujet.
Mais, ces petits papiers sont-ils vraiment des “truffes” ? En réalité, non. Dans le jargon de la librairie le mot désigne le plus souvent des documents insérés dans un ouvrage et qui ont un rapport parfois étroit avec le sujet de celui-ci : coupures de presse, lettres tapuscrites ou manuscrites, cartes de visite, etc. Mais ici, la licence poétique n'interdit point de considérer ce ticket comme une truffe valide. Il suffit de prétendre l'avoir trouvé dans Le livre du Zoo, de Suzanne Pairault, par exemple, même si le livre est tardif. Ou mieux encore dans le livre de Didier Daeninckx auquel je faisais allusion plus haut et dont le titre est Cannibale.
Rappelons que le must est de trouver une lettre autographe de l'auteur. De quoi vous rendre jaloux. J'ai des noms.

Ce n'est qu'un début...

Loin de l'exercice narcissique, on se propose ici de causer des rencontres que procure le métier de libraire d'occasion. Ces rencontres se feront plutôt sous forme de livres curieux, ou autour de la pratique de ce métier.
De toute façon, on verra bien.