Le sanglot de Gary

(À Elisabeth D.)
On a coutume de prêter aux chats un côtoiement régulier avec la littérature et avec ceux qui la produisent. Curieusement, le chien n’y est pas associé aussi automatiquement. Il est vrai qu’un chien couché en travers de votre manuscrit, c’est plutôt rare. Pourtant, qu’est-ce que le clébard est présent dans la littérature ! Faut-il vous citer London ?  Mais, cela se limite-t-il à cet exemple ? Allons, en me creusant la tête, je peux encore vous sortir Le roman de Miraut, chien de chasse (Louis Pergaud) sans trop me creuser la cervelle. Mais au-delà, il faut bien reconnaître que la mémoire pioche un peu, comme le ferait un sprinter à mi-chemin du Tourmalet. Un petit tour à un Emmaüs marseillais m’a permis de me procurer quelques cartouches en la matière. J’y ai trouvé l’ouvrage de Roger Grenier Les larmes d’Ulysse qui explore les liens entre cette bestiole et la littérature, sujets ou personnages de roman, mais également compagnons de quelques écrivains. Le Tenancier, n’a rien contre les chiens, quant à lui, tout au plus observe-t-il une circonspection de bon aloi qui s’avère réciproque. De temps en temps, toutefois, il plaint ces animaux qui se sont acoquinés avec notre triste humanité. Et puis, parfois, il y a des moments de grâce... 
[...] La maison d’après était celle de Romain Gary. Souvent, dès notre première sortie, à sept heures et demie du matin, nous le rencontrions traînant dans la rue, allant acheter les journaux, boire un café au tabac d’en face. Gary disait que la rue du Bac était sa patrie. Tant d’origines se mêlaient en lui : Tartare, Juif, Russe, Polonais, qu’il n’avait pas envie d’être citoyen du monde, ou européen ou même français. il fallait qu’il appartienne à une toute petite province, même pas. Donc, la rue du Bac. « Viens ici, connard ! » disait-il à Ulysse qui avançait aussitôt en creusant le dos pour aller se frotter à lui.
Un jour de septembre 1980, nous avons rencontré Gary, presque devant son immeuble. Il a dit comme d’habitude :
— Viens ici, connard !
Nous nous sommes approchés. J’ai dit à Romain :
— Je crois que c’est la dernière fois que tu vois Ulysse. Il est condamné.
Romain a eu un violent sanglot et est allé se cacher sous son porche.
Ulysse est mort le 23 septembre, et Gary le 2 décembre.
En un an Jean Seberg, Gary et Ulysse avaient disparu et la rue était vide. Pourquoi ne pas les associer tous les trois et le dire simplement, puisque nous nous aimions ?
Roger Grenier – Les Larmes d’Ulysse – Gallimard 1998

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