Un signe discret


On croise assez souvent ces temps-ci des augures pour affirmer que le livre va mal, que sa présence se fait de plus en plus ténue. On traque ici et là les signes de cette déchéance, soit dans la crétinisation de la production littéraire, soit dans l’inanité du milieu éditorial, ou bien encore dans l’arrivée de la concurrence électronique. Ce n’est pas faux. Mais sont-ce là les premiers signes ? A notre sens, la preuve de ce lent reflux existe depuis bien plus longtemps. Elle réside dans une pratique qui existe encore, parfois sous forme de DVD ou autre « produit » mais qui a été abandonnée depuis belle lurette par les marchands de lessive, les pompistes et autres pour ce qui concerne le livre. On veut parler bien sûr du livre-cadeau-gratuit que l’automobiliste gagnait avec le plein d’essence, ou le ménage qui faisait l’emplette de son couvre-lit. Désormais, cela n’existe plus. Oh, ce n’est pas un complot de nos amis pétroliers pour couler notre culture, ni une cabale de la vente par correspondance contre l’édition française.
C’est plus prosaïque : les clients s’en foutent, ça ne les intéresse pas et ce depuis pas mal de temps. Le livre n’est plus vraiment attrayant, pour le plaisir que l’on espère en tirer.
C’est lorsque ces cadeaux là ont disparu que l’on aurait mieux fait de nous poser des questions.

22 commentaires:

  1. Aaahhh, Les Rivaux de Painful Gulch, "offert par Tatol".
    J'l'ai mis où ?

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  2. J'l'ai eu aussi, ainsi qu'Astérix et Cléopâtre offert par Bonus, je crois !

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  3. Et oui, vous faites une fort pertinente réflexion, cher Tenancier. Si, même "cadeau", le livre n'intéresse plus, c'est alors qu'il faut se demander pourquoi, s'inquiéter.

    Cela étant, "le livre va mal" ? Mouais... Il semblerait que le succès des Lévy, Musso et autres écriveurs de même calibre ("j'irai cracher sur Nothomb", ça a déjà dû être fait...) ne se dément pas. Au même titre que les plus "intéressantes" émissions télé continuent à cartonner, les journaux "people" voire "trash" à très bien se vendre. Et l'on pourrait multiplier les exemples prouvant une chose : la crétinisation gagne chaque jour du terrain. Mais si la production littéraire devient plus crétine, les émissions de télé toujours plus débilitante, les magazines toujours plus consternants dans leur contenu, est-ce la faute de ceux qui les réalisent ? Ou est-ce simplement qu'ils s'adaptent à leur public ? N'est-ce pas ce public, qui devient de plus en plus crétin ?

    Otto Naumme

    PS : moi, j'avais eu des Michel Vaillant et des Boule et Bill, mais perdus, depuis...

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  4. Otto, nous sommes d'accord. mais je crois que cela fonctionne en boucle : plus on propose des imbécillités, plus on en redemande, ce qui occasionne un surcroit d'offres débiles... C'est l'amorce d'une boucle avec effets rétroactifs, rétropédalage et massification (le nombre n'étant pas un vecteur d'intelligence).

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  5. Eh bien moi, je n'ai jamais eu ces livres, car le concept du cadeau gratuit rebutait mes ascendants qui les refusaient pour éviter d'encourager le système. Et dire que j'ai pris la relève (!)

    ArD

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  6. On pourrait d'ailleurs réfléchir sur le fait que ces opérations ont également galvaudé le livre...

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  7. Une autre pratique abandonnée, celle des livres offerts en fin d'année scolaire, en guise de prix ou pas.
    Plus grave, car là ce ne sont pas les "clients" qui s'en foutent, mais les "passeurs" qui ont baissé les bras, non ?

    Nana M.

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  8. Cher Tenancier, nous sommes bien d'accord. Mais je persiste : si "on" propose des imbécillités, c'est bien parce que "on" détecte qu'il y a une clientèle potentielle. Autrement dit, le crétin est une espèce pas vraiment en voie de disparition. Et là où vous pensez que c'est la faute de l'oeuf, moi je pencherai plutôt pour la poule comme coupable (sans parler du coq, bien sûr...).

    Chère ArD, en dehors du fait que les cadeaux qui ne sont pas gratuits soient les plus rares, j'avoue que je ne comprends pas bien quel système cela est supposé encourager. Et quand bien même, pourquoi cela serait mal ?

    Notre cher Tenancier livre une piste, parlant du fait que cela "galvauderait" le livre (ou tout autre produit donné, il n'y a pas de raison que cela soit différent, je pense que nous sommes d'accord ?). J'avoue ne pas bien voir pourquoi. Ce type de "cadeau" est pris pour ce qu'il est : un avantage "en nature" qu'offrent les stations Tartempion par rapport aux stations Bidule. Et rien de plus. Sans compter que, le plus souvent, les ouvrages proposés par ce biais manquaient juste un poil de nouveauté : les "vrais" amoureux de la littérature avaient donc déjà depuis pas mal de temps acquis leur exemplaire de la chose...

    Chère Nana M., oui, je me souviens de ces livres offerts en guise de prix (d'excellence, entre autres), j'en ai reçu quelques-uns, de ces années où je me sentais encore concerné par le système scolaire (cela n'a pas duré...). Et c'est vrai que c'était bien. Mais, en la matière, je pense que l'abandon de cette tradition tient plus à un changement en matière scolaire et éducatif (on ne "récompense" plus les "meilleurs") qu'à un problème de "passeurs". Tout bonnement parce que le livre n'a pas été remplacé par le jeu vidéo ou je ne sais quoi d'autre de plus "moderne" pour ce même type de cérémonies. C'est la cérémonie elle-même qui a disparu, le livre n'en était qu'un élément de décorum...

    Otto Naumme

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  9. C'que vous êtes bavard, Otto !
    Nana M., les passeurs auxquels vous faites allusion obéissent à l'économie de marché et répondent à la demande. S'il y a des crétins pour de la marchandise pour crétins, on ne voit pas ce qui arrêterait les marchands de crétineries d'en produire. Le passeur est ce qu'il est, c'est un marchand... et l'éthique de la société marchande, permettez que le Tenancier se tape sur le ventre et en rigole un coup.
    Le livre de prix obéit à un autre type de récompense. Si le livre-cadeau-gratuit (mon œil) est l'aboutissement accessoire d'un mécanisme pavlovien (et c'est ça qui marche non une obscure raison de choix ou autre faribole !), le livre de prix est la récompense officielle d'un mérite : l'excellence en classe, que ce soit en mathématiques, en langue, ou en tenue. Bien que les deux pratiquent soit distinctes et que le livre de prix survienne "après-coup", j'estime ce système aussi pervers. Il en est de même de tout système qui fonctionne par la récompense, du reste.
    La seule grâce que nous trouvons au livre de prix est qu'il est dans le sens d'une valorisation de l'objet : c’est généralement un "beau livre" dont le contenu correspond à une édification (édification laïque, ça marche aussi) où à la glorification d'un fait ou d'une connaissance, bien présenté. C'est un livre utile. Nous préférons, quant à nous le dérisoire et l'inutile. Mais pas celui des stations services qui, comme les DVD maintenant, n'offraient que des choses consensuelles et fadasses.
    C'est pas avec Shell que nous aurions découvert Margot la Ravaudeuse à moins que l'éditeur ait eu un stock excédentaire, ce qui arrivait parfois. Mais là nous n'étions plus alors dans le choix pour vous automobilistes, mais dans la tentative d'éponger un excédent, l'éditeur vendant presque au poids ces livres-là.
    Pour revenir au livre de prix, contrairement à ce que pense Otto, c'est surtout parce que le budget manque, sinon cette pratique continuerait. Parce que le système de récompenses est toujours actif.

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  10. Otto,
    ... parce que les cadeaux dits « gratuits » dans ces contextes, ne sont pas gratuits, mais « compris dans le prix » et forcément indirectement facturés,alors qu'on ne demande pas de cadeau lorsqu'on achète de la lessive.
    Outre que ces cadeaux participent à une augmentation déguisée du prix de vente, ils participent à une banalisation du concept du cadeau et galvaudent le produit « offert ».

    ArD

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  11. Et c'est vous, cher Tenancier, qui me dîtes bavard ! Je me gausse...
    Pour le reste, nous sommes d'accord, sur le fond. Même si je considère que chacun a le choix, ou tout du moins la possibilité, de s'écarter des réflexes pavloviens. Mais j'agrée, le système du livre "récompense" était quelque peu pervers.
    Juste un point où je ne suis pas d'accord, je suis persuadé que la cessation de cette pratique n'a rien à voir avec des questions budgétaires : il existe nombre d'éditeurs de jeux vidéo qui seraient ravis d'en offrir une brouette de leurs jeux (grande, la brouette...) à l'Education Nationale afin de promouvoir leur marque... Parce que s'il ne s'agissait que d'une question de budget, on aurait quand même droit à une belle remise de diplôme façon ricaine avec dessous de plat sur la tête et drap de bain sur les épaules, coûtant 0 euro. Ce qui n'est pas le cas.

    Chère ArD, bien sûr que ces cadeaux ne sont pas "gratuits", même si, pour avoir pu vivre cela de l'intérieur (pas dans une station- service mais dans un magazine, le marketing n'y est guère différent, au fond...), si l'on achète des "goodies" (livres au rebut, montre, agenda, ballon de basket ou tout autre type de bricoles) pour appâter le client ou faire signer des abonnés, le coût de ces achats (négociés au plus bas, bien évidemment) n'est pas directement répercuté dans le prix de vente de l'abonnement. Il est considéré comme un investissement publicitaire, en quelque sorte (qui, je vous l'accorde, est forcément intégré à un moment ou à un autre au coût de revient d'un magazine, donc à son prix de vente...). Mais, en l'occurrence, il n'y a généralement pas d'augmentation du prix de vente.
    Pour le reste, je ne comprends pas bien ce que peut être une "banalisation du concept du cadeau"...

    Otto Naumme

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  12. Ah mais, cher Otto, j'avais expressément écrit "indirectement facturés". C'est un poste budgétaire, j'entends bien, mais il faut bien l'amortir. Intellectuellement, accepter ces cadeaux, c'est apporter une caution à ce système de marketing par le biais de la fidélisation, une forme de prise en otage en titillant l'inconscient cupide. Idem pour la publicité dans les boîtes aux lettres (je la renvoie à l'émetteur).

    Le propre du cadeau, s'il est d'être gracieux, il vise surtout à faire plaisir à son récipiendaire. Or nos goûts individuels ne pas à ce point communs pour être susceptibles de se satisfaire d'un même modèle de cadeau pour tous. Accepter ces cadeaux, c'est donc accepter d'être formaté.

    J'aime bien vos questions, Otto.
    ___
    ArD

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    1. Et j'aime bien vos réponses, chère ArD !

      Otto Naumme

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  13. Une œuvre d'esprit peut elle faire l'objet d'une promotion commerciale, d'un bonus, d'une prime ? A partir du moment que l'on exprime cette œuvre comme un "produit" - à l'instar de certains sites qui, dans leurs moteur de recherche, mettent ce mot en résultat - il n'y a plus de raison de traiter cela comme une exception. Du reste, cette marchandise est soumise aux mêmes lois du commerce que le rouleau de papier cul ou une Porsche dernier modèle. Nous trouvons bien Hamlet dans les caddies - supposition, théorie, du moins ! - pourquoi pas alors proposé comme gadget dans le baril de lessive ? Si nous suivons ce système marchand, cela fonctionne tout à fait. D'ailleurs en écrivant ce billet, je me situais tout à fait dans ce paradigme. Cela ne veut pas dire que je partage cette idée, cela signifie à mes yeux que dans ce système marchand, le livre est devenu un objet un peu obsolète qui a perdu de son lustre. On peut dans ce système se dispenser d'un support et même d'un contenu, la culture n'est pas un impératif pour consommer, d'autant que le support en question a une obsolescence toute relative (des décennies après, le Japrisot et le Verne exposés plus haut sont toujours lisibles) La suppression de ce type de cadeau suit également une tendance que je n'ai pas évoqué mais qui saute aux yeux. Nous ne sommes plus du tout dans une culture d'accumulation des biens. Le remplacement, la novation, la rapidité sont les standards pour le niveau de vie de la classe moyenne. En veut pour preuve que la plupart des libraires croulent sous les propositions de bibliothèques et que beaucoup ne peuvent plus suivre. Si ces livres ne sont plus offerts en promotion d'un achat ou d'un service, c'est que ce n'est plus une motivation - un facteur déclenchant pour la décision d'achat - pour l'acheteur, parce que cela fait un bail que le livre n'est plus valorisé comme instrument ou même vitrine d'une ascension sociale. Dans un tout autre registre, on en a un peu fini avec les bibliothèques exposées dans les salles d'attente des toubibs. En somme, c'est le livre dans tous sa symbolique sociale qui est touché, le livre-cadeau n'étant qu'un signe avant-coureur alors qu'il a pu être considéré comme épiphénomène.
    En cela, la société marchande se situe dans un monde assez proche d'un certain fascisme : irresponsabilité collective, anti-intellectualisme, destruction des marqueurs sociaux, dégradation de la valeur symbolique des objets (pas tous, évidemment, si vous voyez ce que je veux dire), et puis cet éloge de la rapidité, de la vitesse, tout ce qui fait plaisir à cette obsolescence qui s'accélère autour de nous et qui angoisse quelques contemporains.

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    1. J'agrée avec tout cela, cher Tenancier, j'agrée...

      Seul point de divergence : la "culture d'accumulation des biens". Pour moi, elle perdure. Mais elle s'est déplacée d'une part vers le high tech (on accumule les "écrans"), d'autre part vers le numérique (on accumule les musiques, les photos, les films...). Quelque part, c'est aussi qu'on accumule le gratuit...

      Otto Naumme

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    2. Entre guillemets, bien sûr, le "gratuit"...

      Otto Naumme

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  14. Quand je parle de libraires qui croulent sous les propositions de bibliothèques, lisez que "les libraires d'occasions ne peuvent plus faire face, souvent, aux proposition de particuliers qui veulent vendre leur bibliothèque personnelle ou celle d'un proche défunt". Les bibliothèques ne s'héritent plus, c'est un marqueur d'une rupture plus profonde encore entre les générations.

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  15. Et puis à parcourir les brocantes et foires-à-tout le dimanche matin, on est frappé de voir les mères de famille empressées de brader pour rien les livres achetés exprès pour le bac Français du petit, Flaubert, Hugo, Balzac, Baudelaire et compagnie, enfin les des gens qu'en principe on garde près de soi toute sa vie. Quand le gosse a son bac en poche (ou pas) faut que "tout ça" disparaisse au plus vite. Voilà comment la Littérature se fait virer comme une malpropre des honnêtes maisons françaises.

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  16. Otto, vous n'accumulez pas des téléviseurs ou des ordinateurs, vous les remplacez.
    Alfonse, c'est également un signe. Je trouve que se sont souvent des faits ténus qui nous indiquent une désaffection massive.

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    1. Tablette, smartphone, combien d'ordinateurs chez vous ? Combien de télés ? Toutes les études montrent un accroissesment régulier du nombre d'écrans dans les foyers. Et regardez ce qu'il se passe avec la musique numérique...

      Cela étant, sur le fond, oui, il y a sans doute une désaffection importante. Et regrettable.

      Otto Naumme

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  17. Et bien, je débarque...j'ignorais que la remise des prix scolaires n'existait plus.

    Toujours optimiste puis-je me permettre de croire que les "cadeaux" du pompiste ont permis à quelques uns de découvrir la lecture...? Sur la route des vacances, s'pas...

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    1. Chère Adria, pourtant, il est réel, cet abandon. Je m'en suis aperçu lorsque ma chère progéniture ne recevait aucun prix en fin d'année, pas plus que ses "collègues"...

      Pour le reste, oui, on peut l'espérer...

      Otto Naumme

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