Le "Grand Prix de la littérature d'évasion" - Nice, 1978

J’ai moi-même, à la Foire du Livre de Nice en 1978, créé et présidé un prix littéraire dont le jury, aréopage prestigieux, était composé des farceurs habituels : Robert Sabatier, Hubert Juin, Régine Deforges, Jean-Jacques Brochier, Franz-André Burguet et de l’inhabituel André Still (académicien Goncourt et prix Staline réunis). Ce dernier, je l’avoue, afin d’obtenir son dédouanement du comité central, fut incorporé au jury après la fin des délibérations.
Nous avions constaté que la totalité de l’édition traditionnelle, avec un bel ensemble de prémonition du marasme actuel, du chômage, de la crise de l’énergie, d’un rationnement possible de l’essence, du désespoir des ouvriers (entre autres ceux de Denain ou de Longwy) tentaient d’amener les acheteurs virtuels sur les chemins euphorisants du dépaysement, des explorations et des aventures extraordinaires. Nous ne voguions plus que sur des radeaux à la recherche de « L’île au trésor », nous ne nous déplacions plus que par lévitation avec un Uri Gehler et ne sortions de l’hexagone que pour y rencontrer zombis, gourous, cannibales pygmées et autres jivaros
J’ai donc créé le « Grand Prix de la littérature d’évasion » qui fut décerné par douze voix sur treize à Jacques Mesrine pour son évasion de la prison de la Santé, la treizième voix se portant sur Spaggiari, diplomatique tribut destiné à honorer la ville de Nice dont nous étions les hôtes.
Le lendemain, le journal L’Aurore faisait part de cette manifestation culturelle en écrivant qu’une idée d’aussi mauvais goût ne pouvait venir que d’Éric Losfeld. Cela m’aurait beaucoup chagriné de lire cette phrase dans Le Monde, Le Quotidien ou Le Matin.
Cela dit, je n’ai aucune admiration excessive pour Mesrine : en revanche, l’impuissance et les rodomontades de la police créent chez moi un état d’intense jubilation. Je ne lui accorderai toutefois qu’un pronostic assez pessimiste avec le handicap qu’il a d’être recherché dans un pays qui, par morale, désir de l’ordre, vénalité, connerie, possède un indicateur sur quatre habitants. C’est — hélas pour lui — une statistique officielle.
Personnellement, si, au détour d’une rue, j’entends des cris : « C’est Mesrine ! C’est Mesrine !! » d’emblée, aussi sec, je me planque, non pas pour me préserver de sa trajectoire, mais par crainte de ce qu’on attribue généralement aux enfants, aux vieillards et aux gâteux : LES BAVURES !!

Éric Losfeld : Endetté comme une mule, ou : La passion d’éditer – Belfond, 1979

17 commentaires:

  1. Contrairement à Losfeld, j'avais une certaine admiration pour le desperado.
    Et le hasard avait voulu que je sois porte de Clignancourt un certain 2 novembre 1979...

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  2. Jamais eu la moindre sympathie pour ce genre de flingueur, les "bandits d'honneur", c'est bon pour les contes pour enfant.
    En revanche, et pour rejoindre Losfeld, il est clair que, pour lui comme pour "Human Bomb" ou, plus près de nous, Merah, l'impétrant ne passerait jamais devant un tribunal...
    Sans doute pour nous éviter les habituelles lenteurs de la justice.

    Quant à l'idée du "grand prix de la littérature d'évasion", je la trouve savoureuse.

    Otto Naumme

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  3. Monsieur Otto Naumme,

    l'avez-vous lu (Mesrine) ?
    Vous souvenez-vous des QHS, de Serge Livrozet ?

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    1. Oui, j'ai lu. Et oui, je connais les QHS. Et ?

      Otto Naumme

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  4. Désolé, Otto, mais je vais avoir la franchise de vous dire que vous racontez des conneries assez déconcertantes.
    Mettre dans la même phrase Merah et Mesrine relève quand même de l'erreur d'appréciation fort décevante.
    C'est comme si vous me disiez que Ravachol et Dutrou participaient de la même praxis antisociale.
    Allons, allons...

    Les contes d'enfant, je trouve ça encore très beaux, moi, à soixante balais...Quant aux bandits d'honneur je les préfère, et de très loin, aux notables de l'honorable déshonneur.

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    1. Cher Bertrand, je ne crois pas avoir écrit de conneries, je pense qu'en l'occurrence vous m'avez mal compris.
      Nonobstant le fait que je n'ai pas la moindre sympathie pour Mesrine ni pour Merah (pas plus que pour HB, du reste), je ne les ai en aucun cas comparés ou assimilés. Relisez, je dis simplement que, dans les trois cas, ces individus "défrayant la chronique" (et ce quel qu'en soit la raison) n'avaient aucune chance de s'en sortir vivants.
      Après, je réitère, je n'ai pas la moindre sympathie pour un mec qui a commis des hold-ups, kidnappé des gens, tiré sur d'autres. Je ne le range pas dans la même catégorie que Merah, mais j'ai le même mépris pour les deux (les trois avec HB).
      Ce qui ne m'empêche pas de tout autant mépriser certaines formes de "notabilité".

      Otto Naumme

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  5. Ah Bertrand, il me semble qu'Otto et vous ne soyez pas si éloignés dans votre appréciation de la chose. Otto infère tout au plus que l'État a fait quelques économies dans la conduite d'un procès, dans chacun de ces cas. Je pense même que c'est à dessein qu'il a choisi trois personnalités totalement différentes pour évoquer les manières singulières de notre "République" quant au traitement radical qu'elle réserve à ceux-là...

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    1. Ah, cher Tenancier, grand merci ! Que j'aime à voir quelqu'un qui me comprend. Mais suis-je donc si peu explicite qu'il faille un ami de trente ans (argh !) pour saisir ce que j'explique ?

      Otto Naumme

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  6. Ah ! Voilà qui nuance favorablement.
    Pour Mesrine, on sait quelle économie a voulu faire l'Etat : celui du ridicule.
    Pour Merah, j'ai ma petite idée... Mais elle est trop hasardeuse pour être rendue publique.

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  7. otto, cessez donc de vous mettre la rate au court-bouillon, voulez-vous ?

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  8. Ben non, Otto, je ne vous ai pas mal lu. Je vous ai très bien lu...
    Et vous confirmez : "je n'ai pas la moindre sympathie pour un mec qui a commis des hold-ups, kidnappé des gens,"
    Moi si. Beaucoup même. Volé les banques, je trouve ça grandiose, même dans la violence.
    Et les gens Kidnappés par Mesrine, Otto, regardez bien qui ils étaient.
    Mais bon,ne nous fâchons pas pour autant. Nous ne voyons pas le même midi à notre porte. C'est tout.

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    1. A ce tarif-là, vous, cher Bertrand, moi, lui, là-bas au fond de la cour, l'autre, là, accoudé au comptoir, tous pouvons nous arroger le droit de voler des banques (du reste, Mesrine n'a pas commis de hold-ups que dans des banques...) parce que les banques "c'est le mal" ou de kidnapper qui bon nous semble parce que "c'est pas un gens bien". Non.
      Pour deux raisons au moins :
      - si chacun agit ainsi, vous serez un jour ou l'autre la victime de quelqu'un qui trouvera que vous n'êtes pas un "gens bien". Sans jugement, sans autre avis que celui de cette personne qui en aura jugé ainsi - et ce quels que soient les "torts" qui puissent éventuellement vous être reprochés. Ou alors, on fera brûler des librairies parce que on aura décrété que "les livres, c'est le mal", ça part du même principe. Si l'on agit ainsi, sans cadre social, sans structure, c'est le bordel absolu. Notez bien que je ne dis pas "c'est l'anarchie" ; ça n'a absolument rien à voir, seuls ceux qui ont découvert le terme dans des gazettes se réclamant de Beaumarchais pourraient accoler ce terme à cette situation. Quelles que soient leur provenance, leurs idées, je hais les personnes qui s'érigent juge et partie. Surtout quand ils ne sont animés que par leur petit intérêt personnel (voir point deux...)
      - deuxio, je n'ai effectivement aucune sympathie pour un mec qui n'a eu qu'une seule et unique ambition : faire du pognon au plus vite par tous les moyens. Et pour sa gueule, uniquement pour sa gueule. Parce que l'imagerie d'Epinal du "bandit au grand coeur", ça va bien cinq minutes. Robin des Bois, c'est dans les livres, pas dans la réalité.

      J'adore le Dobermann de Joël Houssin (les romans parus au Fleuve Noir, moins le film), j'idolâtre le Dortmunder de Donald Westlake, deux faces fort différentes du "bandit", l'un lunaire et drôlatique, l'autre violent et jusqu'au-boutiste. Mais je les apprécie en tant que personnages de fiction. Pas comme êtres réels.
      Les Mesrine, en revanche, et même les Spaggiari (version non-violente, semble-t-il, du même), non, aucune "admiration", juste du mépris.

      Notez par ailleurs, cher Bertrand, que malgré les désaccords que je viens d'expliquer, je n'ai nullement utilisé le terme de "conneries".

      Après, chacun voit effectivement les choses comme il le sent. Je ne suis pas d'accord, mais je ne juge pas.

      Otto Naumme

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  9. Le débat déborde un tantinet des cadres de ce blog. Qu'importe. Je me permets d'insister encore sur le fait que vos positions ne sont guère éloignées mais que vous prenez chacun le problème à une extrémité opposée. Je ne pense pas que Bertrand soit un adepte du malfrat comme image aboutie du capitalisme artisanal et je ne pense pas qu'Otto estime que "droit commun" et acte politique soient forcément séparés. Il y a un moyen terme à envisager, c'est celui d'un corps social qui engendre et s'alimente d'un tel phénomène pour se maintenir. Ensuite, quant à la personnalité de Mesrine et ses motivations, il faudrait sans doute estimer qu'il y a une grande part d'opportunisme et une distance assez grande avec les idées d'un Marius Jacob, ces messieurs de la gâchette à l'époque contemporaine étant plutôt des amis de l'ordre.

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    1. Cher Tenancier, vous avez raison par votre pondération. Et sur ce que je peux penser. Oui, "droit commun" et acte politique ne sont pas forcément séparés. Mais dans le cas de Mesrine, je ne vois et n'ai jamais vu le moindre acte politique. De la même manière, certaines dérives qu'ont connus certains groupes politiques qui auraient pu avoir ma sympathie idéologique ne sont à mes yeux pas justifiables. Même sous prétexte de "l'impôt révolutionnaire" ou autres.

      Mais bref, tout cela n'a plus guère d'importance, de nos jours...

      Otto Naumme

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