Un éditeur de Berlin mis au courant (les Allemands sont toujours informés de ce qui peut être bon pour leur commerce) du succès de vente que la maison Hachette avait obtenu en Angleterre pour mes petits livres, voulut essayer de ces éditions dans son pays et me fit des propositions à ce sujet. Bien que nous fussions d'accord, elles n'allèrent pas loin, car au lieu du traité à signer que j'attendais, il m'envoya un Sans famille, le mien bien entendu publié à Dresde, en français, en deux volumes. A la vérité, il y manquait un certain nombre de pages qui avaient été analysées et non reproduites, et de plus ces volumes, appauvris d'un côté, avaient été enrichis d'un petit glossaire allemand encarté dans la couverture, où l'on pouvait le laisser, mais d'où l'on pouvait aussi l'enlever et s'en débarrasser, quand on savait assez le français pour le lire sans dictionnaire. — Comment lutter avec des extraits contre un roman que le public peut croire complet ? me demandait-il. — En obtenant la suppression de ce roman défiguré, édité en violation des droits, répondis-je. — C'est que précisément, je ne crois pas que vous puissiez obtenir cette suppression, me dit-il, attendu qu'aux termes des conventions littéraires qui lient l'Allemagne avec la France, les éditeurs ont le droit de publier en extraits, dans le texte original, tous les livres utiles à l'enseignement, à la seule condition d'y joindre un glossaire qui donne à leur édition le caractère de livre d'éducation. Le vôtre est publié en extraits, puisqu'on en a coupé des pages ; on y a joint un glossaire : donc c'est un livre d'enseignement, et vous n'avez rien à réclamer ; de plus nous n'avons rien à faire ensemble, puisque je trouverais dans cette édition, pour laquelle il n'a pas été payé de droits d'auteur, une concurrence désastreuse. Je m'informai ; les objections de l'éditeur de Berlin étaient probablement fondées, attendu que comme les conventions internationales sont faites par des diplomates, sans l'adjonction de gens du métier, on s'en tient à des déclarations banales à travers lesquelles les contrefacteurs manœuvrent aussi librement que s'il n'y avait pas de conventions. Je me plaignis cependant... pour le principe, et la question, prise en main par le Cercle de la librairie, fut portée à notre ministère des Affaires étrangères pour qu'on avisât. A-t-on fait quelque chose pour corriger cette bizarre disposition qui rend légales de pareilles combinaisons ? Je n'en sais rien, mais à vrai dire je doute que la commission internationale qui vient de se réunir pour la révision de la Convention de Berne ait pris la défense des écrivains sur ce point ; pas de gens du métier dans cette commission, — où leurs observations pratiques, sur des sujets connus d'eux, eussent été gênantes, — des fonctionnaires. En tout cas, cette industrie de la contrefaçon continue en Allemagne, avec la complicité de la loi, et j'apprends à l’instant que la librairie Kuhtmann publie en français une édition d’En famille, d'après le procédé employé par elle pour Sans famille. Il faut croire qu'il est bon... pour les éditeurs allemands. |
Hector Malot : Le Roman de mes romans — Flammarion — s.d.
On pourrait aussi se poser la question au sujet du "texte intégral", qui n'est pas toujours si intégral que cela.
RépondreSupprimer... ou bien des traductions pas si novatrices mais qui arrangent tout le monde.
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