Marronnier

On a les divertissements que l’on peut.
Ainsi – est-ce l’effet de mon grand âge – je goûte assez les quelques distractions répétitives que l’on trouve bien souvent à la télévision sous forme de séries qui, invariablement, présentent les mêmes structures scénaristiques, tartes à la crème et autres clichés calibrés pour la grande consommation. Le jeu, en l’espèce est de faire mine de faire dans le second degré, d’apprécier avec un je ne sais quoi dans l’affect, du genre « complice », « copain », « pas dupe », enfin une attitude quelque peu tolérante voire paternaliste vis-à-vis de la culture bis, alternative, populaire, machin, truc et cela sans avouer tout haut que l’on prend plaisir parfois à regarder ces sombres merdes en jouant les patates soufflées sur son sofa. Quelques médias complaisants relaient des analyses pleines de pathos, jargonnantes, sur ce qu’on bien voulu nous transmettre – pardon : nous signifier - les membres de ce prolétariat infernal que sont les scénaristes de séries pour téloche. De toute façon, ce ne pourra être pire que ce que j’entendis il y a presque vingt cinq ans lorsque le phénomène apparut, avec des Alain Carrazé, par exemple. Maintenant, ils sont tout de même nettement plus intelligents. Ça sauve un peu.
Dont acte.
Mais je digresse, je digresse, et vous ne voyez pas où je veux en venir…
Donc, je vous disais : j’aime bien la répétition.
Ainsi, je supporte très bien la succession des mauvaises annonces de notre gouvernement, puisque cela fait longtemps que je me suis fait une raison.
Cela fait également un bail que je ne m’inquiète plus de la cuistrerie répétitive des commentateurs de certains blogs (celui d’Assouline, pour l’instant, n’a pas quitté mon top ten, et cela me réjouis quelque part).
Et puis il y a cette répétition dont je m’étonne que peu de personnes s'en soient avisées jusqu’à maintenant. Cela me donne - avec un sentiment pénible, toutefois - une piètre opinion de mes contemporains. En effet, tous les ans, à période fixe, revient comme un marronnier une affaire de plagiat, phénomène consubstantiel de la production « littéraire contemporaine ». Le fait arrive toujours de la même façon, un article rédigé par un audacieux journaliste dénonce, on évoque le scandale sans jamais préciser qui est scandalisé (a mon avis, personne, tout le monde s’en contrefout). Justification plus ou moins molle, plus ou moins motivé de l’accusé, la mayonnaise monte un peu et disparaît relativement rapidement à la venue de la rentré littéraire. Certes, au-delà, de ces histoires assez minable de plagiat se profile quelque chose de plus éloquent : l’incapacité de nombre d’auteurs que l’on penserait suffisamment aguerris à se renouveler d’un roman à l’autre puisque le besoin se fait sentir de pomper le voisin, sans trop de précautions, du reste. A moins que le nègre soit paresseux, ce qui est une autre histoire. C’est qu’un romancier professionnel a besoin de produire :
- Le tirage moyen des romans baisse régulièrement, cela fait moins de droits d’auteur.
- Pas mal d’auteurs connus ont un contrat d’édition qui les oblige à produire régulièrement (tous les deux ans, vu le rythme de certains), à ce compte, tout est bon pour remplir des lignes.
Foi de Tenancier qui a trempé dans le livre neuf, je ne puis que vous conseiller une ou deux choses : lisez donc des premiers romans. Vous aurez moins de risques. Quoique. Préférez les auteurs rares et intelligents. A ce titre, cela m’étonnerait qu’un auteur comme Pierre Michon ait recours à ce procédé. Lisez un classique. Lisez un auteur qui a du talent et c’est beaucoup plus rare que vous ne le pensez, surtout lorsqu’il accomplit une œuvre (oui, bon, j’avais Nadaud sur les lèvres).
Ou bien, encore : lisez donc ces plagiaires. Cela vaut les séries télé, parce qu’en fait, ce sont généralement des productions peu glorieuses qui sont pompées. De plus, cette littérature industrielle saura vous apporter le confort de la répétition dans le plagiat et nous n’aurons plus de nouveau qu’à faire preuve de cette distanciation indulgente que nous avons vis-à-vis des séries qui passent à la téloche. De plus cela donnera une contenance à nombre d’entre nous.

12 commentaires:

  1. Cher Tenancier,
    Parler comme tu le fais de "séries télé" sans préciser desquelles tu parles, c'est un peu comme si tu disais "les livres" ou "les films"...

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  2. "Lisez un auteur qui a du talent..." Mais pour ça, il faut que le lecteur en ait, du talent...ça fait beaucoup de choses d'un coup à avoir...
    Lisez des classiques. Oui. Là, d'accord.
    Pour Michon, heu..J'suis pas sûr que "Les Onze" soit l'oeuvre d'un classique qui avait du talent.
    Ou alors c'est ma lecture, qui n'en a pas, de talent... Jamais pu finir ce bouquin.
    Tout ça est bien embêtant, Tenancier,...D'autant que je ne comprends pas, en polonais les séries, et que je n'ai pas de télévision. En plus.
    Me reste Youtube, quand même.

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  3. Ah Hervé T., faut pas déconner, c'est pas souvent qu'on l'équivalent d'un Hawks ou d'un Antonioni en série télé. Allez, sans faire ma mauvaise foi, il y en a des bonnes, mais j'aurais fait un peu trop de hors piste à énumérer et à comparer les qualités. Déjà que... D'autant que nous connaissons vous et moi quelqu'un qui a un fort talent pour en parler (il fait partie des intelligents dont je parle).
    Bertrand, oui, après c'est selon son choix. J'ai cité Michon parce que je ne le déteste point. Vous pouvez opter pour un autre si ça vous chante. Le principe reste le même : trouver quelqu'un qui n'a pas explicitement des raisons de produire à la chaîne. On se demande du reste si le dilettantisme ne serait pas une sorte de sauvegarde de l'orgueil à qui ne voudrait pas se commettre à faire du plagiat. "Lire un auteur qui a du talent"... c'était un peu ironique et à la fois vrai. Même si c'est une valeur fluctuante, ce talent, il est à la mesure de son lecteur, comme vous le souligniez. A la différence que vous avez l'air de penser que c'est un attribut intangible. Or le lecteur a le droit de ne pas avoir de talent et de s'en moquer. Du côté de l'écrivain, c'est plus difficile à négocier, non ? En définitive, je n'ai pas de recette, je me dis seulement que nous sommes dans un bizarre système de production littéraire qui un générateur de triche et qui, selon les principes bien rodés d'un système spectaculaire, utilise cette même triche pour alimenter son système. En définitive, la seule consigne serait de rester vigilant et d'éviter Macé-Scarron ou Houellebecq. J'ai essayé d'être positif. C'est pas souvent.

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  4. Mais Ah toi-même, amigo Tenancier, ton argumentaire était concocté à la va-comme-j'te-pousse: trop vite et trop facile de cracher sur les séries télé comme sous-produits de l'aculturation généralisée et équivalentes des copieurs sans idées. Il y a des daubes et des délices (dirait le pote Henri) dans ces séries comme dans les livres, d'aujourd'hui comme d'hier. Le cinéma est tout autre chose et n'a pas grand chose à voir avec les dites séries, même si un Lynch a pratiqué les deux formes.
    Bref, il y a de mauvais livres de faiseurs malhonnêtes, de mauvaises séries de scénaristes sans imagination, mais bon, il y a aussi de mauvais films, de mauvaises peintures, des sculptures de merdre, de l'architecture à vomir,etc. Je persiste et signe en pensant que la série télé est un art à part avec ses bons et mauvais artistes, et qui n'a pas grand chose de comparable avec la rentrée littéraire.
    En toute amitié et pour le plaisir d'échanger, cela va sans dire.

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  5. @ Le Tenancier : JMS, comme l'écrit Pierre Assouline, a peut-être tout simplement fait quelques clins d'oeil à de fins lettrés et son "intertextualité" gêne-t-elle son intersexualité étalée ?

    Je l'ai vu quelques fois à la télé et ses gros bras tatoués sont peut-être des plagiats d'images stéréotypées dans lesquelles il a dû choisir pour ces scarifications...

    En tout cas, je n'ai pas lu son livre, même s'il a récolté un prix, ce qui tendrait à prouver que le jury était totalement ignare !

    Par ailleurs, "Les Onze" est un grand livre, mais ce n'est que mon avis de béotien.

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  6. Hervé, nous sommes d'accord, au fond. Seulement je trouve énervant que l'on mette au même niveau toutes les productions comme si elles avaient les même valeurs. Au fond, ce qui a donné des lettres de noblesse de la littérature populaire réside dans le fait qu'elle n'avait pas conscience d'être une culture en soi. A partir du moment que l'on systématise une réflexion théorique sur tout et n'importe quoi on en arrive à dévaluer des chefs d’œuvre au nom d'une incertaine "intertextualité" ou parce que la citation flatte l'observateur. Est-ce que nous voulons ? Personnellement - et pour avoir fréquenté plus ou moins certains milieux des "cultures populaires" - je trouve qu'il n'y pas tant lieu que cela de se réjouir de cet arasement d'un côté et de cette monté de l'insignifiance en mayonnaise de l'autre. Il y a un équilibre à trouver. Et oui, bien sûr, il y a de sombres merdouilles de chaque côté et des choses glorieuses. J'estime désormais que la condition de production d'une œuvre doit de plus en plus se faire au secret, que les conditions de délivrance devrait se faire à l'image de la dédicace de Stendhal : "pour les happy few", quitte par la suite à ce que ce cercle s'élargisse, ce qui a souvent été la condition de production d'ouvrage ou d'écrivains majeurs... Et oui, la chose est inconciliable avec cette culture populaire que nous aimons vous et moi, cher Hervé. Ses conditions d'existence sont fondées sur des choses plus éphémères, sensibles aux phénomènes de mode et aux variations de notre société, nous le savons et ne tentons pas de les retenir, au fond, sinon que pour témoignage, instantané d'une époque. Mon souci est que l'on a tendance à penser que la littérature dite générale a tendance à échapper à ce cadre de production. Or, il obéit aux mêmes critères de variations, aux mêmes phénomènes de mode qui ont eu pour nom "autofiction" ou autre concept à obsolescence programmée. Cela va vous faire drôle, cher Hervé, mais je pense sincèrement qu'une œuvre se doit d'être élitiste, opérer dans un espace réduit et qu'à partir de ce principe, on peut se dire que 99,9% de la production littéraire - puisqu'on se mêle de parler ici de livres - ne vaut pas grand chose. Or 99,9 %, c'est déjà généreux lorsque l'on contemple la production littéraire annuelle. Cela représente quelques livres valables au cours de l'année (qu'est-ce qui me prend à âtre si optimiste, moi ?). Pour revenir à ces séries, je ne dis pas du tout que c'est le produit d'une acculturation, bien au contraire, mais je ne trouve pas dans ces séries les choses que je cherche dans certains livres. Et c'est bien comme cela : la production télévisuelle en la matière arrive à me satisfaire puisque j'y trouve exactement ce que j'y cherche et cela sans jugement péjoratif.

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  7. (Le vouvoiement est circonstancié, cher Hervé, ne te formalise pas !)

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  8. A Dominique : Assouline soutient tout ce qu'on veut, du moment que cela fasse des clics sur son blog.

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  9. Allons, allons, Dominique, pas de modestie immodeste..
    Un béotien qui sait à peu près tout du surréalisme, ça ne se rencontre pas tous les soirs. Je disais que Les Onze, jamais pu lire ce livre jusqu'au bout. Il m'ennuie. ,Livre d'esthète. le livre de trop pour Michon. En tout cas un livre qui n'arrive pas à la cheville de la Grande Beune ou des Vies minuscules...Je dis ça, mais je suis pas du tout, du tout, critique fiable. Et j'aime bien ce que fait Michon, en plus.
    Vous avez raison, tenancier. J'ai dit une connerie (ça m'arrive) : " le lecteur a le droit de ne pas avoir de talent et de s'en moquer."
    Je pensais à Brassens qui, en sortant de scène sous les ovations, aimait rigoler dans sa moustache : mon public a vraiment du talent.

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  10. Une petite chose encore sur ce qui énerve Hervé. Je ne conteste pas qu'il faille appliquer des critères exigeants à l'analyse ou à la critique des productions qualifiées de "populaires". Je goûte toujours ce type d'analyse même lorsqu'il s'agit d'explorer Starsky & Hutch. Le problème réside surtout dans le fait que le genre populaire, par la vanité procurée par ce type de critique, devient insupportable ! On sait bien que la mégalomanie est un corollaire du monde de la SF, par exemple. Elle l'a toujours été. Le souci réside au final par les prétentions intellectuelles - ou scientifiques - de nombre de ses acteurs, dans ce milieu, chose bien pénible pour ceux qui ont largement les moyens de cette prétention - et ce ne semble pas être la majorité. Les séries télévisées n'y échappent pas. Elles occupent désormais la niche de nombre de littératures populaires qui se sont embourgeoisées (comme le polar ou l'espionnage) ou exsangues (les mêmes produites en leur temps par le Fleuve Noir, par exemple) et on y retrouve ce même engouement prétentieux pour la symbolique, balisant ainsi le parcours critique de quelques spécialistes en la matière. Or ces créateurs - écrivains, scénaristes... - s'arrogent par avance le décryptage de leurs propres créations et là ça ne va plus !
    Le Tenancier se souvient avoir lu en son temps une analyse passionnante par Jean-Pierre Andrevon (écrivain de SF entres autres) des Envahisseurs dans les colonnes de la revue Fiction dans les années 70. Or, la même analyse serait désormais faussée tant les scénaristes sont conscient des indices qu'ils sèment ça et là dans leurs histoires. On ne décrypte plus alors un inconscient collectif mais les obsessions d'une classe moyenne - voire petite bourgeoise - s'adressant consciemment à ses pairs. Bien évidemment, cela ne change rien aux adeptes du degré zéro de la critique qui préfèrent parler du nombre de "dollars" alloués à la production, illustration du vide qui occupe leur espace intracrânien pour ce qui concerne leur capacité critique (le reste est sous réserve d'inventaire...) On en a cité un dans le billet, plus haut. Mais après tout c'est sans doute ce dont a besoin la production dite populaire et sans doute une grande partie de la production littéraire mondiale dont le contenu ne vaut que par son aspect spectaculaire.
    Il ne faut du reste pas perdre un concept précieux et intéressant en la matière, c'est celui du "recyclage" qui s'insère assez bien dans la répétition perpétuelle des épisodes télévisuels et de la réitération du plagiat dans la saison littéraire.

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  11. Cher Tenancier, je m'étais fendu d'une longue réponse que mon nouvel ordi modernedemerde a zappé. On en reparlera de vive voix. En gros, je te tutoie et ne goûte guère la posture élitiste, ce qui n'empêche pas l'amitié, au contraire.

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