Le Bouquiniste Voyez cet honnête homme, créé par le Tout-Puissant pour vivre auprès de son feu. Une agitation surprenante fait de lui un centre de scandale sur la voie publique. Il saute comme un danseur de ballet russe, s'arrache les cheveux par poignées et gémit comme un récupéré de la classe 1903. C'est qu'il vient d'apprendre par la voie autorisée du libraire établi en boutique - le libraire expert qui dirige les ventes à l'hôtel Drouot - que le petit livre qu'il a vendu ce matin même à un passant sournois pour la somme de trois francs, n'est autre que la fameuse première édition d'un bouquin qui a fait dix mille francs en vente publique. Pierre Mac Orlan (extrait de Boutiques, in Poésies documentaires complètes, Poésie/Gallimard) |
Trouvé et communiqué par SPiRitus.
Est-il déjà arrivé au Maître de céans de sauter "comme un danseur de ballet russe" ?
RépondreSupprimerAh mais ça m'est arrivé comme tout libraire normalement constitué. Je dirais même que l'erreur est consubstantielle de ce métier. C'est ce qui en fait le charme et l'attrait pour la clientèle. Du reste, où est la perte pour le libraire en question , il a acheté un livre et le rend avec une certaine marge... que celui-ci aurait pu faire plus est de la simple conjecture puisque, faisant l'erreur, cette plu-valu formidable n'a jamais eu lieu !
RépondreSupprimerCela dit, c'est une manière comme une autre de ma part de faire le faraud. Si ça se trouve, je sauterais encore plus haut que mes petits camarades.
Nous pourrions peut-être profiter d'une petite anecdote ? Personnellement, nous aimons beaucoup ce genre d'erreurs.
RépondreSupprimerSauter plus haut que vos petits camarades ?
RépondreSupprimerJ'ai un "léger" doute...
Cela étant, ce cher SPiRitus a raison : des exemples !
Otto Naumme
Eh bien, je n'en possède pas vraiment de marquants. Certes, il m'est arrivé de vendre des ouvrages moins chers que ce que j'aurais pu prétendre, mais il n'y a rien de spectaculaire. Ce sont de simples erreurs d'appréciation dont on profité quelques clients, voilà tout. Je n'ai pas vendu l'originale de Maldoror à mon insu...
RépondreSupprimerLe fait est que ce genre d'erreur spectaculaire devient de plus en plus rare. Même l'amateur est au courant du prix de certains livres en consultant tout bêtement les sites de vente. Cela limite donc les égarements.
Les surestimations sont tout de même plus fréquentes...
... Vous dansez plutôt comme un danseur du ballet de la toundra, alors.
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ArD
Euh... moi ce serait plutôt mâcher du chewing gum au bord de la piste de danse.
RépondreSupprimerJamais éprouvé ce genre de remords, pour ma part, puisqu'effectivement on revend toujours l'ouvrage avec une marge confortable, même si pas à son prix maximal.
RépondreSupprimerMaintenant, on peut éprouver des regrets d'une autre nature.
Je me souviens avoir vendu à un prix dérisoire (3 € pièce) deux ouvrages dont j'ignorais alors tout : les éditions originales françaises de Sans patrie ni frontière de Jan Valtin et de Ringolevio d'Emmett Grogan. Deux merveilles que j'aurais pu conserver par-devers moi… Mais peu importe, au final, puisqu'ils ont tous deux été réédités.
Plus amusant (et instructif sur la bêtise de certains "bibliomanes") : un type est venu un jour me ricaner au nez en brandissant un exemplaire de Nadja en "Livre de Poche" des années 60, me traitant presque d'abruti de le vendre aussi peu cher (1,50 €) alors que Breton vivait encore à l'époque de son achevé d'imprimer…
Les remords, dans ce genre d'affaire, sont superflus ; et il ne me viendrait pas à l'esprit d'aller narguer un libraire qui m'aurait permis de faire une "affaire" - trop heureux d'en avoir fait une et espérant qu'elle soit la première d'une longue série. Comme l'ont rappelé George et notre Tenancier, tout le monde n'y trouve-t-il pas son compte ?
RépondreSupprimerEn ce qui me concerne, je n'ai que tendresse et éternelle gratitude pour le bouquiniste dont les déballages hebdomadaires ou bi-hebdomadaires place du Capitole me firent l'heureux possesseur (éphémère) d'un numéro des Soirées de Paris, de Zénit (revue d'avant-garde serbe ou croate), d'une dizaine de numéros de la belle revue Montparnasse dirigée par Paul Husson et Géo Charles pour la modique somme de 2€ l'unité. Je précise éphémère possesseur, car, en ce temps-là, j'étais un étudiant désargenté et je dus me résoudre à les revendre sur ebay. Les deux premiers partirent pour 45 € et 60 € (Zenit eut l'heur d'intéresser un libraire américain spécialisé dans les avant-gardes est-européennes) ; le lot (une dizaine) de Montparnasse me rapporta 400 € (il m'en avait coûté 20).
Déduira-t-on de mon profit que mon tendre bouquiniste aurait eu de justes raisons de sauter "comme un danseur des ballets russes" ? Peut-être, mais on aurait tort dans l'absolu. Car que lui coûtèrent réellement ces petites revues-là achetées sans doute, avec d'autres bouquins et papiers en caisse ou au kilo, chez Emmaüs, ou à l'occasion d'un bazardage de bibliothèque ? Une petite dizaine ou une vingtaine d'euros tout au plus. Imaginons qu'il y avait là quelques cinquante livres et revues ; les revendant à 2 € l'unité, il multipliait son investissement par 5 ou 10.
Certes, je multipliais le mien par 20. Mais je ne doute pas que le type de George vienne me ricaner au nez, aussi, et me traite d'abruti, aussi (bis), en me collant sous le pif les prix auxquels se vendent, à Drouot et chez les hautains libraires de Panam', les moindres numéros des Soirées de Paris et de Montparnasse (à pas moins de 100 € l'unité, mon p'tit m'sieur !). Quant à l'exemplaire de Zenit, la revue est si rare et si serbe-ou-croate que oncques n'en vis passer d'autres en vente. Difficile dans ces conditions de conclure sur la marge effective que mon libraire américain lui/s'appliqua.
En résumé, dans cette histoire, tous les maillons de la chaîne bibliomaniaque doivent éprouver une reconnaissance émue pour le maillon qui les précède et qui leur a permis de s'enrichir matériellement, culturellement, esthétiquement, poétiquement et/ou linguistiquement. La danse, même russe, c'est tout de même plus agréable avec partenaires.
Question de classe ?
RépondreSupprimerDe ces personnes qui viennent emmerder le monde avec le prix que nous aurions dû vendre tel ou tel ou tel ouvrage, on pourrait en faire un répertoire long comme un roman russe. On s'aperçoit en définitive que ce sont le mêmes qui se mêlent du métier des autres et en toutes matières. Dans ces cas là, on acquiesce, on peine à soulever une paupière sur l'individu et on retourne à une bienheureuse torpeur...
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