Cultivons notre goût de la prolepse

Qu’est-ce que nous avons eu comme succès avec le mot « Cladistique » ! C’est que le Tenancier, ne renonçant jamais à essayer de comprendre, s’adonne de temps à autre à la lecture de revues scientifiques telles que La Recherche et Pour La Science, pourvoyeuse de concepts et de notions propres à combattre la pensée magique qui est tenace chez votre serviteur. Et puis il y a les mots, cette étrange saveur que l’on mâche pensivement, s’évaporant ou jouant les berniques dans la mémoire. Et s’il n’y avait que ces revues-là…
Bref, le billet eut du succès, introduit qu’il était par un mot exotique et l’on ne se fera pas faute de recommencer.
Il n’empêche, le problème du rangement de cette bibliothèque est toujours en suspens, mais nous avons avancé grâce à l’intervention d’ArD dans les commentaires. Charitable, le Tenancier vous la reproduit ici (ne me remerciez pas, bien que ce soit le fruit d’une vie de sacrifices) :
« Pas compliqué, Tenancier : pour les livres poly-classifications à caractères non homologues, procurez-vous les en double!
Mais sachez qu'une bonne cladistique se veut être le corollaire de la parcimonie : moins vous aurez de livres à critères différentiels de classification, au mieux votre clade se portera.
La cladistique n'est peut-être pas la bonne méthode finalement. Rangez-les donc par format, par couleur,...
ArD »
Ah, ArD, le fameux rangement par format, qui fait penser à la vanne mythique qui se raconte dans le métier sur le garçon qui fit un classement des livres par hauteur… C’est la « Clef du champs de tir » à nous, notre « Fouet à tourner le vent » ! Mais à la réflexion, que donnerait donc un rangement autre que la subdivision classique d’une bibliothèque particulière : Littérature d’un côté, Essais de l’autre avec des subdivision, etc., etc.
Oui…
Triste, n’est-ce pas.
On songe au premiers temps du livre où ceux qui étaient chargés de les classer et les entretenir ne comptaient que sur leur érudition pour ranger tel ou tel ouvrage en tel lieu et à côté de tel autre ouvrage. On me verrait longuement errer dans mes rayonnages, récitant d’étranges mantras pour retrouver le fil de mon pauvre intellect… voyons… mettrais-je Bataille à côté d’un traité de jeux de cartes, dites-moi, ou est-ce un peu trop capillotracté ? Et « Courir », de Jean Echenoz à côté de « La solitude du gardien de but au moment du penalty », FX Toole à côté de London (mais pas tout London) ?
Compliqué tout, cela, assurément et ce n’est pas en double, selon les bons conseils de notre commentatrice, mais en triple, en quadruple, en quintuple que je devrais compenser ma mémoire défaillante. Et puis que faire des livres qu’on n’a pas encore lus ? Se contenter du titre et se débrouiller pour les classer ?
Alors pourquoi ne pas essayer l’autre méthode : le rangement par couleur et par format ? Au moins ce serait « propre en ordre » et l’on pourrait tenter quelques essais chromatiques encourageants. Pas de problèmes pour certains auteurs de polars ou pour les Pléiade. Cela sera nettement plus difficile pour « Le tour du jour en 80 mondes » de Cortazar… mais on saurait mieux se débrouiller que le classement érudit.


Reste une autre solution : couvrir tous les livres d’un même papier teinté (à votre choix) et ne plus être préoccupé que par le format. Quel luxe ! On ne s’y retrouvera pas plus surtout si l’on a omis d’étiqueter le dos des livres ! Mais quel panard – si vous me permettez l’expression – de contempler l’alignement de tous ces dos en vergé teinté crème, classés en format croissant, ou faisant de majestueuses vagues le long des rayonnages !
De quoi se flinguer, non ?
Perfectionnons notre goût du suicide en cultivant notre amour de la prolepse, massicotons, rognons au PPCD (Plus Petit Commun Dénominateur) les ouvrages de cette bibliothèque. Choisissons le format in-douze, jetons les volumes qui auront le malheur d’être d’un format un chouïa inférieur.
Certains livres deviendront illisibles ? La Belle affaire puisque, de toute façon, tel un fantôme décati, votre Tenancier préféré déambulera devant ses rayons, ne retrouvant rien, la mémoire flanchant de plus en plus, plus très loin de bavocher sur ses charentaises et se disant que c’était le bon temps, quand il sortait le mot, euh... cladistique, à son public ébahi. D’ailleurs, lire… à quoi bon lire…
Désormais, ce serait la dèche morale, l’hospice, la foire au Toupourien, dans le bac à deux balles.
Je le savais : cette ArD me veut du mal !

3 commentaires:

  1. Allons, ce n’est pas si compliqué.

    Il suffit de ranger Jules Vernes dans les voyages (à côté de La
    Modification de Butor et d’Œdipe sur la route de Bauchau)

    Dans la rubrique « animaux » on mettra L’Alouette d’Anouilh, la faim
    du tigre de Barjavel, Le perce-oreille du Luxembourg d’André Baillon,
    les contes du chat perché d’Aymé, les Louves de Boileau-Narcejac et
    bien entendu tous les Bazin (Vipère au poing, le Cri de la chouette,
    la Mort du petit cheval).

    En botanique on trouvera Le maître et Marguerite de Boulgakov.

    Alcool d’Apollinaire sera dans la rubrique des spiritueux et les Nuées
    d’Aristophane dans celle d’astronomie (avec la Voyage au bout de la
    nuit de Céline et Gaspard de la nuit d’Aloysius Bertrand).

    En anatomie, on aura l’Ombilic des limbes d’Artaud, tandis que Noces
    de Camus sera rangé dans la rubrique sexualité.

    Il restera le Roman inachevé d’Aragon, qu’on mettra en littérature
    faute de mieux tandis que sur votre bureau vous conserverez
    précieusement les Illusions perdues de Balzac.

    RépondreSupprimer
  2. Cher Tenancier, je découvre avec bonheur que mon commentaire sur votre cladistique aura participé à une augmentation du pourcentage de saturation de votre oxémie cérébrale : j'en veux pour démonstration ce joli billet qui, loin de me culpabiliser sur le mal que je pourrais vous faire me montre tout le bien que je vous prodigue. D'ailleurs, vous êtes sur la bonne voie : en masculinisant le mot « prolepse » vous nous montrez à quel point le genre vous indiffère.
    Pour contrer votre pensée magique, il vous faut lire des revues plus sérieuses que ces choses de la Science. Voyons, comment prétendre appliquer une méthode de classification biologique à un classement de livres sur rayonnages superposés horizontaux, avec, je le parie, un pan de mur au dos ? C'est un peu comme si vous prétendiez classer une baleine et une vache dans la catégorie des mammifères courts sur pattes. Ce système vous torture parce qu'il réfute la contingence. Non, vraiment, Tenancier, croyez-moi, quitte à vous accrocher aux classifications de type biologique, optez pour le système vicariant : c'est très pratique, il vous permettra de remplacer un livre à une place donnée par un autre qui occupera la même place tout en se trouvant dans le même groupement.
    S'en suivra le phénomène de psycho-physiologie dit de vicariance cérébrale par lequel une région saine assume le rôle d'une région lésée, vos vieux jours sont donc épargnés !


    ArD

    RépondreSupprimer
  3. Je passe le miroir et viens au féminin, alors (comment n'ai-je pas pu m'en apercevoir ?)

    RépondreSupprimer

Les propos et opinions demeurent la propriété des personnes ayant rédigé les commentaires ainsi que les billets. Le Tenancier de ce blog ne saurait les réutiliser sans la permission de ces dites personnes. Les commentaires sont modérés a posteriori, cela signifie que le Tenancier se réserve la possibilité de supprimer des propos qui seraient hors des sujets de ce blog, ou ayant un contenu contraire à l'éthique ou à la "netiquette". Enfin, le Tenancier, après toutes ces raisons, ne peut que se montrer solidaire des propos qu'il a publiés. C'est bien fait pour lui.
Ah oui, au fait... Le Tenancier ne répondra plus aux commentaires anonymes. Prenez au moins un pseudo.

Donc, pensez à signer vos commentaires, merci !

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.