Du format des livres - I

Parler du format des livres pourrait être une formalité à quiconque voudrait ne s’attacher qu’à une description formelle exprimée en épaisseur, en largeur, en longueur et surtout en centimètres. On pourrait certes se contenter de cela et négliger le poids immense des techniques traditionnelles du livre, les contraintes techniques et la charge financière qui sont déterminés par le choix d’un format pour un type de papier donné. A ces quelques remarques préliminaires, on ajoutera que les explications qui vont suivre sont forcément parcellaires, le soussigné n’étant rien d’autre qu’un libraire et donc a priori fort ignorant des constituantes de son exposé, la somme faisant illusion au profane. Et c’est du reste à celui-ci que ce billet s’adresse.
Lorsque l’on parle de format de livre, donc, dans la libraire de neuf et dans le meilleur des cas, on peut s’attendre à une description sommaire du type : « poche », « grand format », « format livre d’art », « format BD », en somme des descriptions qui sont certes évocatrices des catégories d’ouvrages liés aux collections et aux pratiques éditoriales. Dans la librairie d’occasion, on rencontre plus volontiers des termes comme « in-folio », « in-quarto », « in-octavo », etc. Si ces appellations semblent plus scientifiques au premier abord, par rapport aux termes vagues utilisés par les libraires de neuf, elle n’en sont pas moins évasives et sont même parfois moins précises. En effet, le « format BD » est suffisamment évocateur pour que l’on ne se pose pas de question sur les dimensions de l’ouvrage. Cela tient au fait de la standardisation industrielle (fort nuisible à la création, selon nous) qui limite les dimensions de l’ouvrage ainsi que le nombre de pages (44 pages). Il y a certes des exceptions, mais le lecteur et le libraire de neuf lambda sauront de quoi vous parlez lorsque vous évoquez le « format BD ». Mais pour ce qui concerne le libraire d’occasion – pour plus de commodité, on comprendra dans cette appellation le libraire bibliophile, d’ancien, moderne, le bouquiniste et toutes les autres déclinaisons – la chose n’est pas si évidente lorsqu’il évoque, par exemple un in-octavo… En effet, tout le monde connaît les fameux cartonnages Hetzel, ceux des Voyages Extraordinaires de Jules Verne, par ailleurs nous connaissons tous les ouvrages de la Collection Blanche de chez Gallimard, or ces deux types d’ouvrages fort dissemblables ne sont autres que des in-octavo !


 Ces deux ouvrages sont des in-octavo et sont décrits 
comme tels dans les catalogues de librairies

On imagine aisément la confusion qui peut régner parfois à la lecture d’un catalogue édité par un libraire d’occasion. C’est que, à la vérité, il manque un renseignement essentiel à cette description de format : la nature du papier avec lequel il a été imprimé.
Ces prémisses posées, nous allons devoir faire un petit tour au Moyen-Âge pour tenter de comprendre les raisons pour lesquelles il règne tant d’approximations actuellement.
On se rappelle peut être les conditions de production artisanale à cette période : activité locale, adoption des systèmes de mesures locales également, systèmes de production fortement encadrés par la coutume. Chaque région avait en quelque sorte ses idiosyncrasies, lesquelles furent éliminées pour la plupart par l’abolition de l’Ancien Régime et l’adoption du système métrique. Or, l’industrie du papier ne se plia pas à cette conversion. En effet, chaque moulin producteur de papier conserva ses propres standards. On reviendra un jour sans doute sur les raisons de cette résistance. Chaque moulin producteur de papier garda donc ses dimensions traditionnelles. Ces feuilles avaient toutes une appellation précise, la plupart du temps due au filigrane que le moulin y avait inséré. Le format que nous connaissons tous et le plus connu en France pour l’avoir utilisé à l’école est la feuille au format raisin. On se souvient tous de cette grande feuille encombrante que le prof de techno ou de dessin nous demandait d’acheter… Or cette feuille est d’un format traditionnel. La cuve qui a servi à la fabriquer n’a pas changé de dimensions depuis la création du moulin (En réalité, si. C’est désormais un papier industriel, sûrement fabriqué en rouleau et non en feuille découpé à dimensions, mais nous entretiendrons la fiction pour les besoins de la démonstration !). Ses dimensions sont : 50 x 65 cm. D’autres moulins produisirent différents types de papiers. Parfois, la qualité d’un papier diffère autant que le format. On citera ici quelques dimensions de feuilles souvent utilisées pour fabriquer des livres :
     Écu : 40 x 52 cm
     Jésus : 56 x 72 cm
     Pot : 31 x 40 cm
     Tellière : 34 x 44 cm
Il en existe d’autres bien sûr, et certains que j’ai négligés ne sont pas forcément destinés au livre. On notera la très grande disparité des dimensions de ces feuilles. Or, c’est avec celle-ci que les imprimeurs vont travailler pendant des siècles, jusqu’à l’arrivée des presses rotatives. Les feuilles normalisées telles que le A4, A5, etc. sont des inventions récentes dont les canons ont été définis dans les années 20 elles ne concernent qu’exceptionnellement le livre, ce sont des standards internationaux...

(à suivre)

4 commentaires:

  1. Ma foi, notre Tenancier nous régale d'un premier billet sur les formats fort intéressant. On n'en a que plus envie de lire la suite.
    Une(première)chose : quid des moulins producteurs de papier ? Il n'y avait que ce type de constructions qui produisaient du papier ? (ou alors s'agit-il d'un autre billet que vous vous ferez un plaisir d'écrire ?)
    Une (autre) chose : je trouve tout à fait savoureuse cette tournure de phrase : "l'industrie du papier ne se plia pas". Je me demande bien pourquoi...

    Bref, tout cela pour en arriver, comme auraient dit nos amis anglo-saxons, au fait que "size matters". Mais on le savait...

    Otto Naumme

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  2. Cher Otto, on abordera le sujet des moulins le jour où il sera question de la fabrication du papier. Il faudrait d'ailleurs espérer une personne qui aura quelque autorité sur le sujet, car le sujet - comme celui du format, du reste - est assez technique. Et le Tenancier se trouve sur la corde raide - déjà - avec le présent billet.

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  3. Le Tenancier a bien planché en se pliant à une vieille promesse.

    Je souhaite apporter un peu d'eau moulin d'Otto en faisant remarquer que pendant que le livre passe du volumen au codex, inversement le papier passe de la feuille au rouleau.

    Une chose (autre) : "Parfois, la qualité d’un papier diffère autant que le format" (sic). Je suis assez partante pour une explication de ce "autant" dont les contours quantitatifs comparés demeurent mystérieux à mes yeux.

    ArD

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  4. Chère ArD, la réponse sera la même que pour Otto à propos des moulins. La fabrication des différentes sortes de papiers fera l'objet d'un autre billet. On ne peut pas tout faire à la fois et mêler le format à la nature du papier. Même si cela peut être pertinent, ce ne peut qu'embrouiller les choses.
    de plus cela me donne l'occasion de rédiger - ou de demander à quelqu'un de rédiger - un nouveau billet.

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