J'ai sous les yeux les deux volumes ultérieurs de la Bibliothèque Internationale d'Érotologie, parus en 1964 : — n°13 : Anatole Jakovski, Eros du dimanche (achevé d'imprimer le 17 mai 1964) — n°14 : Patrick Waldberg, Eros modern'style (7 juin 1964) Les deuxièmes rabats de ces deux ouvrages sont semblables entre eux mais diffèrent de celui du n°12, présenté ci-dessus : les titres sont désormais remplacés par des astérisques, qui renvoient à une précision au bas du rabat : « * N. B. Les titres en blanc sont le fait de la Censure. » Je me souviens que dans les catalogues Pauvert de l'époque, la présentation de la collection était similaire. En outre, dans chacun de ces deux volumes est inséré un papillon qui précise non sans malice, en dessous d'une gravure évoquant une manière d'ex-libris : « La mutilation de cette jaquette — suppression de titres des ouvrages — est due aux injonctions libellées au nom de l'Ordonnance du 23 décembre 1958 sur les "Publications destinées à la Jeunesse"… » (ce n'est évidemment pas moi qui souligne mais l'éditeur). Enfin, si le premier rabat du n°13 présente une illustration semblable à celles des précédents volumes, sur celui du n°14 l'image est plus petite et on lit en dessous la liste des quinze titres suivants, annoncés pour la période 1964-1966. Licence autorisée par le fait que ces volumes n'existaient pas encore ? George Weaver |
— Massicotage du rabat du numéro 11
— Mastics sur la liste du numéro 12
— Disparition des titres dans la liste des numéros ultérieurs
Évidemment, les foudres de la censure ne pouvaient tomber que sur des livres déjà publiés et on état fort aise de mettre les titres d’ouvrages qui n’étaient alors pas parus sur le rabat auquel George fait allusion. Tout cela doit passer au tribunal correctionnel, semble-t-il et doit être jugé sur pièce. On voit ici que le mécanisme de la censure est accepté comme un élément de la pratique éditoriale, jouant sur la présence des noms d’auteurs, sur ce qui peut être exposé ou non… Rappelons que nombre de ces ouvrages étaient interdits à l’exposition au terme du jugement. D’autres jugements plus sévères encore les interdisaient à la vente. Il nous semble d’ailleurs que Le Petit Livre Rouge des Étudiants et Lycéens demeure toujours sous le coup de cette interdiction. Pour en avoir consulté un, par hasard, on se représente assez en quoi ce petit manuel représentait aux yeux du pouvoir de l’époque : la sédition et la liberté, de quoi effrayer, c’est sûr…
Certains éditeurs – et précisément pour cette collection – se gardaient bien de mettre une illustration de couverture, histoire de ne pas exciter encore plus Anastasie, espérant sans doute ainsi d’échapper à ses coups de ciseaux.
A l’exploration de cette collection de chez Pauvert, on reste assez rêveur sur l’innocuité apparente de ces publications. C’est que nous regardons cela avec cinquante ans de recul, cinquante années au cours desquelles le puritanisme ou l’hypocrisie en la matière ont plutôt reculé. C’est ainsi que nombre de publications érotiques figurent sans malaise dans les rayonnages des librairies.
Pourvu que ça dure.
Ah la la Tenancier je n'avions point vu ce billet...
RépondreSupprimerLe Tenancier s'est lâché, ma chère Adria. Nous allons calmer le jeu.
SupprimerVous êtes toujours pasionnant sur Anastasie qui émerge régulièrement une ou deux fois l'an, Tenancier !
RépondreSupprimerArD
Chère ArD, nous pourrions en parler plus souvent, mais la superstition nous tient...
RépondreSupprimerJe lis Histoires de censure - Anthologie érotique de Bernard Joubert (La Musardine, Lectures amoureuses. 2006). Le chapitre consacré aux Larmes d'Éros de Bataille offre quelques précisions sur les interdictions qui frappèrent la Bibliothèque Internationale d'Érotologie entre 1961 et 1964 et sur cette question des rabats :
RépondreSupprimer« Suite à ces interdictions, Pauvert est plusieurs fois condamné. D'abord parce que, dans un premier temps, il n'a pas effectué le dépôt préalable auquel il était astreint depuis l'interdiction de Symbolisme sexuel de Jean Boullet, en juillet 1961. Puis pour avoir mentionné, sur le rabat des jaquettes, les titres déjà parus dans la même collection. Puis pour avoir seulement indiqué le nom des auteurs, sous une ligne vide, en précisant : « Les titres en blanc sont le fait de la Censure. » Dans son compte rendu public de 1965, la Commission dénoncera dans ces listes silencieuses un « habile procédé, éminemment propre à piquer la curiosité d'amateurs d'oeuvres douteuses ». Un commentaire dont il faut apprécier, pour une fois, la sincérité : d'une loi pour la protection de la jeunesse, on avait cyniquement fait une arme contre les « amateurs d'oeuvres douteuses » » (p.239)
Merci, Grégory, pour cet éclairage. Je m'étonne que George ou Adria n'aient pas rebondi sur votre intervention...
RépondreSupprimerOh ! Hé ! Tenancier, on n'est pas toujours au taquet !
RépondreSupprimerEt je vous le demande sans vouloir paraître pisse-froid, : les rabats jouent à quoi, au juste ?
Merci en tout cas à Grégory pour ces précisions.