Histoire de rabats

Cet après-midi même, m’adonnant au pointage d’une des nombreuses caisses dans lesquelles je stocke mon fonds, je retombais sur deux ouvrages plutôt agréables et sympathiques et qui faisaient partie de la fameuse « Bibliothèque Internationale d’Érotologie », à savoir L’Érotisme d’en face et Érotologie de la Chine. Vous savez ce que c’est dans ces cas là, on se perd, on se disperse, on ne sait pas quand on se retrouve. Mes goûts me portèrent plus à ce moment aux chinoiseries représentées là plutôt qu’aux manifestations gourmandes montrées ici, quoique l’imagination y fût aussi féconde et aussi troublante ma foi, bien que l’option sexuelle différât. Y’a pas de raisons. La santé et la vigueur sont des bienfaits auxquels nous avons tous droit.
Mais enfin, les réflexes du métier reprirent leurs exigences, et il me fallut bien délaisser le droit du cuissage pour celui de la curiosité professionnelle. C’est ainsi que je remarquais que le second rabat de la jaquette d’Érotologie de la Chine était plus court que le premier rabat. La chose était curieuse, la découpe en semblait régulière et n’était pas le résultat du travail d’un particulier, saisi sans doute par la beauté d’une image, ou sa puissance évocatrice ; la Chine étant une grande nation, dans bien de ses œuvres.
Une vérification s’imposait donc avec l’autre titre. L’avantage de cette collection réside dans une assez grande homogénéité dans la présentation (c’est dedans qu’il arrive que ça se complique). Si le premier rabat correspondait en taille et par le thème de l’illustration, il me fallut constater que le second ne ressemblait pas du tout à l’autre volume. Ici, c’était la liste de la collection qui était, euh… exposée. On comprendra mon hésitation sur le terme puisque les deux tiers des titres étaient caviardés. C’est ainsi que j’eus l’explication de ce rabat raccourci. L’éditeur, peut être pressé par la censure avait sans nul doute jugé plus économique et opportun de massicoter ce bout de jaquette alors que l’autre volume imprimé trois mois après avait pu être corrigé par ces élégants mastics noirs chez l’imprimeur même. On peut donc songer que Jean-Jacques Pauvert eut – mais c’était régulier – la visite du bras séculier de la République pour lui intimer l’ordre de faire disparaître ces titres du catalogue.
Ainsi, une fois de plus, nous avions ici un rappel discret de la censure qui régnait sous le règne de Mongénéral. Jean-Jacques Pauvert, n’est guère disert sur la collection qu’il hébergeait et je n’ai pas trouvé trace de cette péripétie dans son ouvrage, La Traversée du Livre. Pire, sans doute, c’est le mépris affiché par le même envers Lo Duca (le directeur de la collection) dans un chapitre court mais détestable intitulé « L’érotisme des années 60 ».
Reste en tout cas, à travers cette collection, un étrange reflet de l’érotisme comme une pratique confidentielle, interdite à l’affichage et à la publicité, couverte par la chape de plomb de la bienséance qui régnait alors, ambiance qui ne peut être vraiment ressentie désormais que dans quelques pays dictatoriaux et dans la tête de quelques intégristes de tous poils.
Allez, en cadeau, quelques images artistiques…
Érotologie de la Chine
Premier rabat
Second rabat
L'Érotisme d'en face
Premier rabat
Second rabat

(Vignettes tirées de L'Érotologie de la Chine)

16 commentaires:

  1. Petite précision : "Erotologie de la Chine" du Dr Woo CHAN CHENG, présenté comme traduit en français par le Dr François Albertini, serait en fait un ouvrage rédigé en 1963 par le sinologue Jacques Pimpaneau…

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  2. Grand merci pour cette précision !

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  3. C'est un grand bond en avant que vous fîtes, là, cher Tenancier, par cet après-midi maussade en apparence.

    Jacques Pimpaneau... C'est fort plausible : tout, sauf rabats-joie, cet homme, aussi marionnettiste. Mais diable, comment fait-on pour savoir que Pimpaneau pourrait avoir écrit ce livre sous un pseudo ?

    ArD

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  4. Que de belles trouvailles, cher Tenancier, que ces ouvrages (ah, si mes finances...) ; que de fines déductions (même si je suppose que l'ouvrage au rabat caviardé a dû paraître avant celui dont le rabat a "disparu", ce me semblerait plus logique) ; que d'excellents constats sur les années 60 et la période de Mongénéral - non, ce n'était pas "mieux avant"... Et il est toujours aussi triste de voir des badernes obscurantistes fermement ancrées dans un passé fantasmé tenter de jouer cette carte du "retour en arrière" (le "retour en avant" se révélant une manoeuvre encore plus complexe, réservée à des experts en la matière).

    Otto Naumme

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  5. Cher Otto, j'ai bien vérifié l'ordre de parution des volumes et c'est bien L'Érotisme de la Chine qui est paru en premier. En somme, nous concluons la même chose.
    ArD, plusieurs pistes servent à découvrir le pot au rose en matière d'écrivain caché et de pseudonyme. Vous en savez quelque chose, d'ailleurs. Ce peut être les confidences de l'auteur, un style très reconnaissable, des indications dans le texte, des relations de proches ou de moins proches, des contrats d'édition, etc.
    Ici, j'ignore quelle est la source dont profite Aurélien. S'il nous lit, nous ferions notre miel de son information...

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  6. «J'adore le Dobermann de Joël Houssin» (Otto).
    Ah, je peux difficilement laisser passer cette transition que vous m'offrez, cher Otto. Apprenant que Jacques Pimpaneau était sinologue, une Chinoise s'exlame et lui dit : «Enfin, vous allez pouvoir m'expliquer ce qu'est un doberman, si vous êtes sinologue !»

    __
    ArD

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    1. J'avoue ne pas bien saisir... Il doit y avoir une plaisanterie, mais où ? (et effectivement, j'aurai pu faire l'économie d'un n sur le Doberman...)

      Otto Naumme

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    2. Argh ! J'avais écrit « cynologue » avant de biffer, préférant m'en remettre à votre légendaire sagacité, Otto.

      ArD

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    3. Comme quoi la légende est parfois (souvent ?) bien au-dessus de la réalité...
      D'autant plus qu'avec un Pékinois, j'aurais dû me douter...

      Otto Naumme

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  7. Cette précision, je la tiens de la bouche du cheval – comme on dit –, c'est-à-dire de Jacques Pimpaneau lui-même du temps où il enseignait aux Langues O'. Et je ne pense pas ici trahir un secret assez répandu dans le milieu des sinologues…
    J'ajouterai pour faire bon poids que l'année qui précède la parution de cet ouvrage Jacques Pimpaneau avait traduit, sous la bannière de Pierre Klossovski (parfait ignorant du chinois, mais tout comme leur ami commun Georges Bataille, passionné d'érotisme), le "Jeou-P'ou-T'ouan, la chair comme tapis de prière", roman publié vers 1640 en Chine par Li-Yu, mis en français par Pierre Klossovski et publié par Jean-Jacques Pauvert en 1962.

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  8. ... et retraduit par Pierre Kaser, chez Picquier.

    (Merci Aurélien)
    ArD

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    1. Oui, le fait qu'un universitaire comme Pierre Kaser puisse traduire sous son nom des romans érotiques chinois montre à quel point nous sommes loin de la censure des années 60, période à laquelle le jeune sinologue Pimpaneau ne pouvait officiellement assumer un tel travail.

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  9. L'édition par Guy Le Prat d'une traduction du Jin Ping Mei (roman érotique du XVIe) doit pourtant dater à peu près de ces années-là, non ?
    (J'en ai une édition reprise par le club français du livre datée de 1967, d'où ma déduction.)

    ArD

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  10. Cet endroit et ces propos tiennent du paradis !

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  11. Je me permets de revenir ici par la pointe des pieds pour insérer un commentaire de George Weaver, lequel est provisoirement dans l'impossibilité technique d'intervenir dans les commentaires
    Le Tenancier
    :

    J'ai sous les yeux les deux volumes ultérieurs de la Bibliothèque Internationale d'Érotologie, parus en 1964 :
    — n°13 : Anatole Jakovski, Eros du dimanche (achevé d'imprimer le 17 mai 1964)
    — n°14 : Patrick Waldberg, Eros modern'style (7 juin 1964)
    Les deuxièmes rabats de ces deux ouvrages sont semblables entre eux mais diffèrent de celui du n°12, présenté ci-dessus : les titres sont désormais remplacés par des astérisques, qui renvoient à une précision au bas du rabat : « * N. B. Les titres en blanc sont le fait de la Censure. »
    Je me souviens que dans les catalogues Pauvert de l'époque, la présentation de la collection était similaire.

    En outre, dans chacun de ces deux volumes est inséré un papillon qui précise non sans malice, en-dessous d'une gravure évoquant une manière d'ex-libris : « La mutilation de cette jaquette — suppression de titres des ouvrages — est due aux injonctions libellées au nom de l'Ordonnance du 23 décembre 1958 sur les "Publications destinées à la Jeunesse"… » (ce n'est évidemment pas moi qui souligne mais l'éditeur).
    Enfin, si le premier rabat du n°13 présente une illustration semblable à celles des précédents volumes, sur celui du n°14 l'image est plus petite et on lit en-dessous la liste des quinze titres suivants, annoncés pour la période 1964-1966. Licence autorisée par le fait que ces volumes n'existaient pas encore ?

    George Weaver

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  12. Je confirme les propos d'Adria, ces commentaires tiennent effectivement du paradis.

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Ah oui, au fait... Le Tenancier ne répondra plus aux commentaires anonymes. Prenez au moins un pseudo.

Donc, pensez à signer vos commentaires, merci !

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