« On n'échappe aux fripons que pour choir dans les cuistres »

Tout s'en va


LA RAISON

Moi, je me sauve.


LE DROIT


Adieu ! je m'en vais.


L'HONNEUR


Je m'exile.


ALCESTE


Je vais chez les hurons leur demander asile.


LA CHANSON


J'émigre. Je ne puis souffler mot, s'il vous plaît,
Dire un refrain sans être empoignée au collet
Par les sergents de ville, affreux drôles livides.


UNE PLUME


Personne n'écrit plus ; les encriers sont vides.
On dirait d'un pays mogol, russe ou persan.
Nous n'avons plus ici que faire ; allons-nous-en,
Mes soeurs, je quitte l'homme et je retourne aux oies.


LA PITIÉ


Je pars. Vainqueurs sanglants, je vous laisse à vos joies.
Je vole vers Cayenne où j'entends de grands cris.


LA MARSEILLAISE


J'ouvre mon aile, et vais rejoindre les proscrits.


LA POÉSIE


Oh ! je pars avec toi, pitié, puisque tu saignes !


L'AIGLE

Quel est ce perroquet qu'on met sur vos enseignes,
Français ? de quel égout sort cette bête-là ?
Aigle selon Cartouche et selon Loyola,
Il a du sang au bec, français ; mais c'est le vôtre.
Je regagne les monts. Je ne vais qu'avec l'autre.
Les rois à ce félon peuvent dire : merci ;
Moi, je ne connais pas ce Bonaparte-ci !
Sénateurs ! courtisans ! je rentre aux solitudes !
Vivez dans le cloaque et dans les turpitudes,
Soyez vils, vautrez-vous sous les cieux rayonnants !


LA FOUDRE


Je remonte avec l'aigle aux nuages tonnants.
L'heure ne peut tarder. Je vais attendre un ordre.


UNE LIME


Puisqu'il n'est plus permis qu'aux vipères de mordre,
Je pars, je vais couper les fers dans les pontons.


LES CHIENS


Nous sommes remplacés par les préfets ; partons.


LA CONCORDE


Je m'éloigne. La haine est dans les coeurs sinistres.


LA PENSÉE


On n'échappe aux fripons que pour choir dans les cuistres.
Il semble que tout meure et que de grands ciseaux
Vont jusque dans les cieux couper l'aile aux oiseaux.
Toute clarté s'éteint sous cet homme funeste.
Ô France ! je m'enfuis et je pleure.


LE MÉPRIS


Je reste.



Victor Hugo (1853) , in : Les Châtiments


2 commentaires:

  1. L'homme qui marche16 janvier, 2012 01:14

    L'un de mes poèmes préférés de M. Hugo. Merci à vous, Tenancier... Quelques souvenirs de lecture à voix haute viennent d'être ravivés, remplis du feu et de la passion brûlante qui siéent à ces vers ! Il y a dans cette marche d'un peuple que l'on par trop d'humiliations foulé aux pieds comme un air d'opéra.
    Par les temps qui courent, qui peut encore résister aux radieuses sirènes de l'utopie ?

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  2. "LA CONCORDE

    Je m'éloigne. La haine est dans les coeurs sinistres."

    Il est vrai que c'est d'actualité...

    Otto Naumme

    RépondreSupprimer

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