Les nouveautés

Il est un devoir dévolu au libraire de neuf auquel un confrère s’occupant de livres d’occasion ou anciens échappe totalement, c’est celui de lire les nouveautés qui sortent par tombereaux tous les mois. En effet, tenu d’être au courant, ou de paraître de l’être, le libraire de neuf devient victime d’une sorte d’obsession potagère qui le fait sauter d’un navet à l’autre sans que cette récolte-là se tarisse. Ainsi, le vendeur avisé en vient à utiliser des subterfuges dignes de certains salonards : le dernier Goncourt (Récit mené tambour battant, truculent, picaresque !) ? « Vous savez, il promet mais tiendra-t-il la distance ? Vous savez, dans un mois on n’en parlera plus, comme d’habitude. Qui se souvient du premier Goncourt, hein ? » Oui, seulement, John Antoine Nau est sans doute le plus connus des prix Goncourt, avec cette astuce de bazar. Bon, ce prix-là ne vous enthousiasme pas, pas plus que l’auteur primé, Jean-Antoine Delamort-Quitue, dont le titre précédent « Moi et Léon Bazalgette » vous avait emmerdé autant que son premier roman qui s’intitulait, euh… attendez… pourtant vous l’aviez lu, non ? Ah non, « Moi et Léon Bazalgette » était son premier roman, mais alors l’autre, de qui ça pouvait bien être ? Ah oui, vous vous souvenez soudainement : Marc-Gilles de Rubettes auteur de « Quitus », récit épique et haletant d’un auteur promis à une grande carrière littéraire, si si !
Mais rien à faire, vous n’y arrivez pas pour le dernier Goncourt. Allez, vous faites un tour sur les papiers des critiques, les pages du Monde Littéraire, du Magazine Littéraire lesquels sont unanimes dans l’enthousiasme ! Bien. Mais vous ne savez toujours pas de quoi cela parle. Vous aurez l’air fin face au client, tiens, si vous n’avez pas la plus petite idée de ce que ça cause. Par miracle, vous tombez sur un résumé. Oui, bon, ça ressemble curieusement à ce roman de Jean-Denis Panchard qui se déroulait en grande partie dans la Pampa argentine, sauf que là c’est plutôt à l’île de Ré et que… Tiens, d’ailleurs, pas eu le Goncourt, çui-là. Pourtant : Épique… tambour battant… auteur prometteur…
Vous vous réveillez en sursaut.
Oui, vous en étiez où ? Ah, Jean-Antoine Delamort-Quitue, impossible de dépasser le premier chapitre. Ça coince. Vous demandez humblement à un collègue : « T’as lu ça, toi ? », regard de commisération de l'interpellé. Le résumé, plus haut, ne sert à rien, impossible d’en sortir un argumentaire ou même d’avoir l’air un chouïa affranchi. Et puis vous finissez par laisser tomber. Quand le client passera la tête pour vous demander ce que ça vaut, vous hocherez la tête avec un air entendu. Vous le vendrez à coup sûr. Pas besoin de se fatiguer, le bandeau « Prix Goncourt » supplée à vos lacunes, ô libraire négligent, cancre !
Vous êtes revenu à la raison : à quoi bon se fatiguer à vendre un produit prémaché ? Il y a tant de livres qui se bousculent dans les arrivages de nouveautés, n’est-ce pas, comme ce Juan-Antonio Renault y Fuego qui, « avec Capitaine du Désert nous fait retrouver l’enchantement des lecture de Dumas à travers un récit rondement mené, des personnages truculents qui rappelle les grandes heures de la littérature picaresque » ou alors ce texte de F. Bahamontès, « L’ascension du Mont Ventoux » qui « figure désormais dans le patrimoine de l’humanité (Ramon Polidori : Le Corriere della Vuelta)». Bref, que de bons livres, que de textes enchanteurs qui vont animer vos soirées et enrichir votre culture personnelle et qui vous permettront de rester dans l’élite des vendeurs-de-librairie-au-courant.
Seulement, voilà : le lendemain, vous avez été pris en flagrant délit d’ignorance. Merdalors ! Vous ne l’aviez pas vu arriver cette question perfide sur Marc-Étienne Durand qui a écrit… qui a écrit… euh…
Vous rentrez alors tout seulâbre dans votre logis, démoralisé, abattu.
En fin de compte, peut-être quitterez-vous définitivement la librairie de neuf et vous lirez enfin pour le plaisir ce que vous voulez et quand cela vous chante…
C'est tout le malheur qu'on vous souhaite.

15 commentaires:

  1. Si au bout du compte, le nom de John-Antoine Nau demeure, beau poète et bon conteur, eh bien j'en serais pas mécontent. En voilà un qui mérite qu'on se souvienne de son nom, même pour son prix Goncourt.

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  2. Mais... Nau est un auteur très intéressant et pas seulement grâce à "Force Ennemie" mais également pour La Gennia...

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  3. Votre billet est culpabilisant : je me vois bien en poseur de questions perfides au librare, moi !
    Quelle idée de ne pas se regrouper à deux trois camarades libraires pour se refiler ses fiches de lecture !

    En tout état de cause, on comprend que vous ne rgrettez pas votre choix, Tenancier : enfin vous n'êtes plus contraint de lire ce que vous devrez vendre ; cela vous laisse un peu de temps pour triturer l'apparence de votre blog, aussi.

    ArD

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  4. Ah mais je dois au moins savoir ce que je vends. Mais, comme j'ai choisi ces ouvrages, ce n'est plus une obligation. Du reste, les rapports entre lecteurs et libraires ne sont pas du tout les mêmes dès lors qu'il s'agit de livres d'occasion ou anciens. Ce type de client sait généralement ce qu'il veut et la conversation avec le libraire portera plus sur la vraie littérature que sur des réflexes pavloviens générés par les médias.
    Contrairement à ce que vous pensez, je n'ai pas le temps de triturer ce blog. C'est vous qui devenez culpabilisante, ma chère !

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  5. Oui, au point où l'on finit par se demander si le Tenancier n'est pas devenu un blogueur professionnel qui vend de temps à autres quelques livres (ou même un peu plus, on lui souhaite...).

    Otto Naumme

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  6. C'est une période calme pour votre serviteur. Il en a profité pour contenter les grincheux de tous poils qui n'aiment pas changer... même l'apparence d'un blog (et que mon arbre il est trop petit dans le titre, et que y'a trois colonnes, et que c'est serré, non mais, j'vous jure, y'a pas que moi qui ait le temps, en ce moment...)

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  7. Tiens, un Tenancier qui grinche (il grince aussi, mais depuis longtemps déjà, l'air salin breton a des effets redoutables...).
    Mais ne vous en faites pas, il est très bien, votre blog avec sa nouvelle présentation, même si l'arbre est tout petit (c'est plus des feuilles, c'est des folicules qui vont tomber...) et que les trois cols donnent une impression de serré. Mais si si, il est très bien.

    Otto Naumme

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  8. Après l'effet étroitisant de Copenhague sur l'arbre & le blog du Tenancier, on attendra sagement l'effet repousse que l'on appréciera d'autant plus.

    ArD

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  9. Vous m'embêtez tous avec cet arbre.
    S'il est si petit dans le titre, c'est pour éviter de faire redondance avec le même qui se trouve sur la colonne de droite.
    Rappelons que le Tenancier fait ce qu'il peut avec les moyens du bords et avec toute la sobriété dont il se sent capable. Si l'aimable lecteur fatigue malgré tout, on lui conseillera d'aller se reposer les yeux sur les blogs d'Eva Truffaut, par exemple, qui constituent un excellent remède, chaudement recommandés par le Tenancier.
    Les liens sont sur la colonne de droite (faut tout vous dire, hein !)

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  10. J'entends déjà les cancres du fond de la classe me traiter de fayot, mais tant pis je le dis : je la trouve très bien, moi, la mue des FEUILLES D'AUTOMNE. Na !

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  11. Ah, vous parliez de l'arbre dans le titre ? Il est si petit que je ne l'avais pas vu ! Pour ma part, j'évoquais celui de la col' de droite. Comme quoi, même en taquinant gentiment, on finit par se tromper. Mais que ne ferait-on pas pour embêter un peu le Tenancier...

    Otto Naumme

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  12. Otto, nous attendons tojours votre billet. Au lieu de persifler, vous feriez mieux de vous y mettre.

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  13. A la différence du train, l'Otto ne persifle qu'une fois, cher Tenancier. Du reste, si vous consultiez votre boîte mail, vous le sauriez...

    Otto Naumme

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  14. Et si vous lisiez les billets récents, mon cher Otto ? J'en profite pour souhaiter à tous et de nouveau un bon réveillon.

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