Dépêchons-nous...

Nous vivons dans une sorte bienveillante nonchalance qui nous fait prendre n’importe quel épiphénomène clinquant pour l’avenir. La mode est à la poudre aux yeux, aux contenus vides agrémentés de guirlandes lumineuses agitées par de piteux créatifs. Mais, et les créateurs ? Merci, ils se portent tout de même assez bien pour se retrouver parfois en nombre et montrer leurs productions. Ainsi en est-il du salon de bibliophilie contemporaine qui s’est déroulé le week-end dernier rue de Charenton. Foin de Kindles et autres livres électroniques aux noms anglicisés (l’anglomanie née à l’époque romantique est devenue désormais l’expression d’une certaine vulgarité agressive.) ici l’encre et le papier et d’autres matériaux sont liés intimement, épousent le texte et l’image.
On ne fera pas ici un compte-rendu détaillé de cette manifestation. Il y en avait pour tous les goûts et tous les moyens. On y croise chaque fois des visages familiers, éditeurs, ex-clients, amis et de ces types qui auraient ravi les auteurs de physiologies, comme celles éditées par Curmer, par exemple. Ainsi – et c’est un genre de personnage que l’on retrouve également chez certains amateurs de livres anciens – ce petit vieux monsieur gris, voûté, dont les pans de la gabardine pendent comme de lourds rideaux tristes, tenant sous son bras une sorte de serviette informe dont on sait au bout du compte qu’elle renfermera son achat du jour, mûrement réfléchi, pesé du regard et évalué financièrement – non comme un placement mais bien plutôt comme la dépense que l’on alloue aux quelques plaisirs auxquels on peut s’adonner sans faillir à son idéal économe ou encore l’ire de son conseiller financier, vous savez le petit mec dans son costard qui dit des mots en anglais et qui attend beaucoup des livres électroniques, sans doute parce qu’on peut y mettre des piles dedans… Mais ce sujet là aura oublié son banquier dès qu’il tombera sur le livre espéré. Parce qu’il est vieux, un peu triste et que le livre sera là pour lui faire moins songer aux petites crottes du quotidien qu’il emporte sous ses semelles.
Vous avez raison, Monsieur, dites-lui merde, à ce banquier. Je suis ici, à cet instant et à cette idée, un peu votre frère.

Le reste en image…



Dès l'entrée du salon, on vous offre un paire de gants en coton. On ne peut s'empêcher de penser à Delon, dans Le Samouraï. Ils servent à protéger les livres des mains moites...

Vue partielle du Salon. Peu de monde le vendredi après-midi, justement un moment choisi pour flâner et voir des ouvrages tranquillement avant qu'ils ne soient acquis... que reste-t-il le dimanche soir ?

Christian Laucou, alias cls, à son stand, comme il nous l'avait promis...

Christian Laucou nous présente ici un bilan hépathique satisfaisant.

Sans doute la plus belle de ses réalisations.

Et l'une de ses dernières créations.

En homme de goût, Christian nous a orienté vers le stand d'un jeune homme dont le travail l'avait vivement enthousiasmé. Nous y avons découvert ces illustrations qui nous font irrésistiblement penser aux danses macabres ainsi qu'aux calaveras, de la tradition mexicaine.

L'ouvrage a été tiré à 25 exemplaires en sérigraphie. C'est une deuxième édition, la première était tirés à un nombre extrêmement réduit et était constituée de gravures. Il semble que cette première édition ait résidé dans les rayons de la librairie Nicaise.

Frédéric Guille et Gisa Schraml dirigent la maison d'édition Kollektiv Tod à Berlin. Il semble bien que Frédéric Guille soit l'auteur de ces illustrations.

Une autre réalisation, un ouvrage en cours d'élaboration tiré à trois exemplaires. Il s'avère que le travail de cet artiste est perpétuellement en progression, chaque volume étant une étape, jamais achevée complètement.  Je suis encore subjugué par la force qui se dégage de son travail.

Pouvait-on se douter que l'on trouverait un tel memento mori au détour d'une pérégrination dans ce Salon ?
J'ai vu bien d'autres ouvrages - et acquis certains comme un livre illustré par Olivier O Olivier - mais pouvait-on éviter de mettre ces deux ouvrages ci-dessus ? Et, à partir de ce moment, était-il possible de mettre les autres acquisitions en balance avec de telles productions ? Assurément non. Le Salon Page est un lieu où se fait ce genre de rencontre, il faut savoir s'y soumettre.
Cette morbidité est-elle un signe du destin ?. On n'y croit pas un instant. Mais par précaution on se recommandera à ses dieux tutélaires et on se pliera aux rituels du Carpe Diem au quotidien, à d'éventuels rituels propiatoires et à l'exercice de quelques plaisirs dont celui de l'amitié, de l'amour, ceci englobant à la fois quelques humains et bien plus de livres...
Il n'y a de toute façon pas de temps à perdre.

14 commentaires:

  1. J'aime quand notre ami Tenancier philosophe.
    Cela le rend beau.

    Otto Naumme

    RépondreSupprimer
  2. Oui, l'effort ça transcende toujours un peu.

    RépondreSupprimer
  3. La seule chose qui me chiffonne, c'est que « les pans […] pendent » : cela m'évoque une expression enfantine ridicule.
    L'ouvrage allemand sérigraphié (Beaucoup de chiens ont été assassinés par des lièvres ??? mon allemand est vraiment déplorable) paraît effectivement splendide, on pense évidemment à Posada. Bizarre qu'il ne soit pas signé. C'était cher, j'imagine.

    RépondreSupprimer
  4. Posada, oui !
    Autrement, vous connaissez la réplique (à propos du petit dernier de chez Beretta) : "Le prix s'oublie, la qualité reste".
    ...
    Moi, j'aime bien les "pans pendent", ça me fait rire.

    RépondreSupprimer
  5. Merci pour ce compte-rendu partial, mais le plan Partial vous va bien, Tenancier.
    --
    George, il semble que T.O.D. dans le titre renvoie au nom de la maison d'édition. Toutefois, je n'exclus pas un jeu de mots entre la mort du lièvre et le nom propre de la maison d'édition.

    ArD

    RépondreSupprimer
  6. Ah, peut-être… mais en ce cas, comment traduire le titre ? Beaucoup de chiens sont des lièvres ? Pourtant, il ne me semble pas que le verbe sein soit suivi du génitif. Mais, bon, j'ai presque tout oublié de cette langue que je n'ai plus pratiquée depuis 25 ans.
    Dites, Tenancier, vous n'auriez pas profité de votre visite au Fornaxeur pour tenter de lui soutirer les vers du nez, au sujet du Mystère ?

    RépondreSupprimer
  7. J'ai essayé, il a joué les tombes.

    RépondreSupprimer
  8. Et il joue tellement bien les tombes que ça en est un calvaire.

    Otto Naumme

    RépondreSupprimer
  9. Mmmmhhhh... connaît-il ce fameux Mystérieux Expéditeur seulement ?
    Ne vous plaignez pas, mon cher Otto. Vous recevez des livres et faites l'objet de toutes nos attentions. Parlez de calvaire concernant votre cas - même pour faire un jeu de mot - est un peu exagéré. Laissons cela se décanter et se révéler à nous. Cela finira bien par arriver. Du moins l'espère-t-on.

    RépondreSupprimer
  10. Otto, à mon avis, il vaut mieux éviter de «chauffer» le Libraire en ce moment... Pour info, voyez le dernier feuilleton sur la télé de son blog.

    ArD

    RépondreSupprimer
  11. Boh... si on peut même plus faire un jeu de mots...
    Je me plains pas, je disais juste une bêtise ; j'ai aucunement l'intention de dire que je vis un calvaire.

    Je fais l'objet de toutes vos attentions, donc ? Je vérifierai...

    Otto Naumme

    RépondreSupprimer
  12. Au fait George, sans jeu de mots avec le nom de la maison d'édition T.O.D., le génitif n'aurait aucune raison d'être. Il s'agit donc de : Beaucoup de chiens sont la mort du lièvre.
    Sachant que si on n'a pas «Hasens» (avec un s),cela signifie que 'on parle d'un animal en particulier ou d'un individu ainsi métaphorisé.

    ArD

    RépondreSupprimer
  13. Bien sûr. Merci beaucoup pour ce rappel. Misère ! Nietzsche (et Borgès après lui) parle de l'oubli comme d'une faculté, mais parfois on s'en passerait bien…

    RépondreSupprimer
  14. "la loi du plus grand nombre"
    (Hasen conserve sa forme au génitif)

    RépondreSupprimer

Les propos et opinions demeurent la propriété des personnes ayant rédigé les commentaires ainsi que les billets. Le Tenancier de ce blog ne saurait les réutiliser sans la permission de ces dites personnes. Les commentaires sont modérés a posteriori, cela signifie que le Tenancier se réserve la possibilité de supprimer des propos qui seraient hors des sujets de ce blog, ou ayant un contenu contraire à l'éthique ou à la "netiquette". Enfin, le Tenancier, après toutes ces raisons, ne peut que se montrer solidaire des propos qu'il a publiés. C'est bien fait pour lui.
Ah oui, au fait... Le Tenancier ne répondra plus aux commentaires anonymes. Prenez au moins un pseudo.

Donc, pensez à signer vos commentaires, merci !

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.